Dans le miroir des médias

Numéro 16 – Décembre 2007

Le regard sur ce qui nous est étranger révèle finalement la part de soi invisible dans la proximité. Aujourd’hui, ayant démystifié l’illusion de l’immédiateté donnée par les médias au sens large, la redécouverte du regard sur ce qui est familier produit des visions intéressantes. C’est un moment significatif de la culture suisse qui part de l’observation de sa propre identité pour aller retrouver les autres. Notre diversité interne nous y aide. Ainsi, le nouveau master des littératures suisses, entrées dans le programme d’études de lettres, crée sur fond de bilinguisme, des regards croisés sur les littératures suisses. Cette démarche vise à mieux se comprendre et par cercles concentriques, élargir cette recherche à d’autres voies. Comment les médias suisses des régions perçoivent-ils le sens et les enjeux de cette nouveauté ?

La presse romande, alémanique et tessinoise a salué la création du master en littératures suisses. Il nous a paru intéressant de faire une brève revue de presse sur comment les médias des trois régions linguistiques ont éclairé ce sujet et ce qui les a particulièrement intéressés dans ce projet. Au regard croisé offert aux étudiants en lettres se superpose un autre croisement de regard.

Deux journaux romands[1] abordent la question avec le thème de la formation. « Faire dialoguer les littératures suisses », titre le 24 Heures de manière emblématique. Les questions posées à Peter Utz, responsable du master, sont dirigées vers l’aspect formatif et les réponses présentent la notion de mise en réseau entre institutions académiques comme point fort du master en littératures suisses. Un commentaire du même journal exprime le souhait que les recherches académiques ne se confinent pas au travail de spécialistes, mais soient en phase avec la défense de nos écrivains et suscitent une approche systématique de la littérature romande dans les écoles et les gymnases.

Le Courrier donne la parole à la Professeure Claire Jaquier de Genève et s’intéresse aux modalités, structures et thématiques du séminaire. L’entretien met à jour la question de la spécificité des littératures suisses qui les distingue des littératures nationales française, allemande et italienne. Il met en évidence la nouveauté et l’originalité de la circulation des langues chez les écrivains suisses bilingues. Intimiste, l’article délivre une sensibilité littéraire qui se verra étoffer par ce nouveau programme. Il y est également souligné que les ressources en présence à l’Université de Lausanne ont eu un rôle important dans la naissance du projet. Et qu’il prend son départ en Suisse romande.

La Regione Ticino donne un descriptif du projet dans ses différents aspects et en relève les enjeux : les littératures suisses se définissent à la fois par les traits historiques et culturels de leur région et se signalent par une conscience des tensions entre identités locales et celles d’appartenance plus largement universelle. Le journal tessinois ajoute qu’elles peuvent refléter précisément la situation culturelle de l’Europe où s’affrontent des tendances régionalistes et globalisantes.

Quant à l’entretien dans le Corriere del Ti­ci­no, une exergue est éloquente : « un thème commun et des manières différentes de le décliner dans une perspective culturelle et historique ». Au cours de l’entretien avec Daniel Maggetti de l’Université de Lausanne, professeur et auteur, une question porte subtilement sur le fait que le pluriel des littératures suisses pointe malgré tout vers une singularité de la littérature suisse. Il ressort de la réponse à cette remarque que la diversité des littératures suisses vient des relations qu’elles entretiennent avec les langues nationales – par exemple, la littérature suisse allemande est plus proche de son homologue allemande que romande. Finalement, on comprend que cette diversité riche et complexe trouvera dans la thématique commune des liens significatifs de l’ensemble. Et que ce type d’expérience n’a apparemment pas de précédents au niveau européen.

Points forts de la présentation des deux journaux d’Outre-Sarine : l’intérêt pour le fait que l’initiative vienne de Romandie. La dimension historique du projet y est mise en valeur. L’événement est notamment mis en lumière en fonction de ses implications en terme de politique culturelle et de la recherche scientifique sur la culture. La relation d’une langue suisse avec l’Allemagne y est soulignée dans son rapport à la circulation des valeurs fondatrices d’identités des deux pays. On constate que la dimension philosophique du projet est fortement soulignée dans ces articles.

La NZZ remarque en particulier que, reprenant les propos de Peter Utz, le projet se fait sans moyens supplémentaires, mais en utilisant au mieux les ressources existantes telles que des collaborations avec d’autres institutions. L’article est orienté vers les caractéristiques plus largement culturelles et les implications sociales du nouveau programme. Le journal choisit de relever que selon le professeur Utz, une tendance à la disparition des générations d’auteurs comme objets de recherche et d’étude s’est développée. Il s’agit en somme d’une interruption de la continuité avec une tradition de la conscience de soi et une perte de substance culturelle. Au comparatisme, le master juxtapose l’interdisciplinarité. La double appartenance à un pays et à la culture d’une langue au-delà de ses frontières reste naturellement à traiter indépendamment de sa propre langue maternelle.

Le Bund, quant à lui, explore minutieusement le master en littératures suisses en en saluant la nouveauté. Il mentionne également que les Universités alémaniques ont déjà traité des questions de thèmes spécifiques à la Suisse, mais aussi que les initiateurs du nouveau programme voudraient focaliser sur de nouveaux intérêts et ajouter à la démarche thématique le regard croisé des autres littératures suisses. L’article aborde la question des archives, les désignant comme l’une des ressources pratiques du programme des littératures suisses. Du point de vue de la langue, en Suisse, le conflit fécond entre le dialecte et la langue littéraire n’est pas une exception, mais la règle. Et de manière très pertinente, le Bund note que les littératures du tiers-monde sont fréquemment partagées entre une langue locale et une langue normative.

Il n’est pas prudent de tirer des conclusions exactes de ces observations, mais on constate que la couverture d’un sujet d’intérêt national dénote des regards et une sensibilité propres à chaque région. L’intérêt est plus réflexif et plus global pour les deux journaux suisses alémaniques, plus sensibles à la portée culturelle pour leurs homologues tessinois, plus informatifs et plus ciblés pour leurs confrères romands. Ces derniers sont davantage orientés sur l’environnement langagier de la littérature régionale.


[#1] Entretiens avec Daniel Maggetti, Claire Jaquier et Peter Uzt des Universités de Lausanne et de Genève pour les uns – Le Courrier, le 24 Heures assorti d’un commentaire et le Corriere del Popolo – informations dans Swissinfo et Culturactif et dans La Regione Ticino, le Bund et la Neue Zürcher Zeitung