La politique au théâtre, sujet tabou ?

Numéro 32 – Décembre 2011

Au début du mois de mai passé, le Théâtre populaire romand (TPR) lançait un appel à projets pour des petites formes à créer hors les murs. Baptisés « Cré-actions », ces spectacles courts devaient permettre d’ancrer le théâtre dans le paysage urbain. Le comédien et metteur en scène chaux-de-fonnier Samuel Grilli a saisi l’occasion pour se pencher sur l’éclosion des affiches politiques dans les rues, profitant des élections fédérales qui viennent de se dérouler.

Intitulé La démocratie, ça se cultive… ou comment différencier un nain de jardin d’un nain de campagne, son projet mettait en scène un nain de campagne, décorant et végétalisant les affiches des différents partis selon leurs moyens respectifs. Ainsi, ceux qui avaient le plus d’argent pour leur campagne – et donc le plus grand nombre d’affiches – se voyaient disparaître sous les branchages, alors que celles des partis aux budgets plus modestes restaient visibles.

« Mon but n’a jamais été de dire qui sont les gentils ou les méchants, ni de donner des consignes de vote, mais d’illustrer la différence des moyens financiers entre les partis de façon concrète », explique Samuel Grilli. Pour l’auteur du projet, il s’agissait donc d’aborder cette question avec humour.

Rien de bien méchant, mais cela a tout de même fait peur, puisque le projet a été refusé au motif qu’il était « trop militant », indiquait Samuel Grilli dans un courriel annonçant que « la Cré-action à laquelle vous pensiez échapper » allait malgré tout avoir lieu, même sans moyens.

« Il est étonnant que dès que l’on aborde la question du politique, le TPR oublie ses origines. Quand on pense que le Living Theater y avait trouvé asile alors qu’il était frappé d’interdiction à travers l’Europe, que ma modeste proposition soit refusée ainsi est surprenant » confie le comédien. « Je suis bien conscient qu’un concours implique un choix. Ce n’est pas tant de ne pas avoir été retenu que la raison de ce refus tardif qui m’interpelle », poursuit-il.

Alors, la politique serait-elle un sujet tabou au TPR ? « Pas du tout ! » répond son directeur. Pour Andrea Novicov, il s’agit d’un malentendu. « Si la politique est un sujet délicat, il n’est pas tabou, enchaîne-t-il, la raison de notre refus est d’une part artistique et d’autre part liée à une contrainte de temps : nous n’avions pas les moyens de pouvoir lancer le projet comme il faut, c’est-à-dire avec la communication nécessaire pour l’accompagner. Nous avons reçu 47 dossiers, plus que nous en espérions, et il nous a fallu plus de temps pour les évaluer (ndlr : le délai de réponse initialement fixé à juillet a été repoussé à fin septembre). Du coup, celui de Samuel Grilli aurait été le premier à se jouer et le temps qui nous restait ne permettait pas de faire les choses sereinement. » Si le directeur se défend donc d’avoir voulu censurer le propos de ce nain de campagne, il admet toutefois qu’une institution n’a pas les coudées aussi franches qu’une compagnie indépendante. « Même si nous avons la liberté de création, nous ne devons pas oublier qu’une institution est finalement l’émanation de la collectivité publique, gérée par les politiques. »

Depuis toujours, l’affaire du théâtre, est de divertir les gens. Il n’a besoin d’aucune autre justification que l’amusement, mais de celui-ci absolument. (Bertolt Brecht)

Même son de cloche du côté du metteur en scène Robert Sandoz, artiste associé au TPR pour le projet Cré-action : « Nous n’avions pas assez d’éléments pour être certains que ce que Samuel Grilli proposait était bien un geste artistique sur la politique et non pas un geste militant se servant de l’art. » Une distinction particulière justifiée car la politique n’est pas un sujet comme un autre, surtout en période électorale, d’où la nécessité de pouvoir bien communiquer.

Pour Samuel Grilli, les craintes émises à l’encontre de son projet ne se sont pas vérifiées : « J’ai eu 120 spectateurs sur les deux représentations et personne ne s’est plaint des « décorations » ajoutées aux affiches, celles-ci étant par ailleurs réversibles. Je n’ai jamais cherché autre chose que le divertissement, à l’image de cette citation de Brecht : depuis toujours, l’affaire du théâtre, comme d’ailleurs de tous les autres arts, est de divertir les gens […] il n’a besoin d’aucune autre justification que l’amusement, mais de celui-ci absolument ».

La question semble donc rester ouverte. Tentative d’édulcoration pour l’un, manque de temps pour aborder un sujet délicat pour les autres, la proposition de Samuel Grilli aura en tous les cas eu le mérite de faire débat. Et, justement, quel meilleur moyen de cultiver la démocratie que de débattre de la politique et de sa place dans la société… et sur scène ?