À ne pas confondre : prix fixe & prix juste !

Numéro 33 – Février 2012

La « tribune » publiée dans Le Temps du 16 décembre dernier a provoqué nombre de réactions, positives comme négatives. Volontairement, la votation du 11 mars prochain sur la Loi pour le livre (LPL) n’y était pas abordée, ce qui n’a pas manqué de surprendre. La raison en est pourtant simple : le changement de modèle économique d’une part, et la LPL, d’autre part, sont deux sujets qui n’interfèrent pas directement l’un avec l’autre. Ou, pour le dire d’une façon plus claire encore : que la LPL soit acceptée ou rejetée par le peuple en mars prochain, la réforme du système d’approvisionnement est tout aussi indispensable pour les libraires et le marché du livre en Suisse romande.

Car les choses ont radicalement changé en un peu moins de deux ans. Le niveau de surcoût de 20% que nous avions articulé comme acceptable pour le consommateur final suisse – et qui reste valable – a changé de sens avec le franc fort : si, avec un taux de change supérieur à 1.50, comme c’était le cas jusqu’à début 2010, cet objectif était atteignable sans remettre en cause le système lui-même, chaque maillon de la chaîne pouvant faire les efforts nécessaires pour l’atteindre, c’est évidemment totalement différent avec un euro à 1.20. Car les charges des libraires suisses – en particulier les salaires – ne sont pas indexées sur l’euro. Et si l’objectif reste le même pour le prix de vente, il est devenu nécessaire d’agir aussi sur le prix d’achat, de façon à compenser le différentiel de chiffres d’affaires par une baisse du prix d’achat qui permette aux libraires d’assumer leurs charges. Ainsi, ce qui était jusque-là profit pour les diffuseurs doit devenir ressource pour les charges des libraires.

Avec ou sans loi, cet objectif d’un prix final au maximum supérieur de 20% au prix d’origine est une des conditions impératives pour que le marché domestique redevienne attractif, et ne disparaisse pas pour le seul profit des sites français de vente en ligne, en particulier Amazon. Et si la vente en ligne est utile dans certains cas, elle ne remplacera jamais ce « lieu unique pour objet unique »[1] qu’est la librairie pour le livre, comme l’a écrit Jean-Marc Roberts, le directeur des Éditions Stock, reconnaissant le rôle indispensable des libraires pour faire connaître et donner une chance aux auteurs que les éditeurs découvrent et soutiennent, parfois pendant de longues années avant qu’ils soient reconnus et trouvent leur public. C’est ce « prix juste », encadré par une loi empêchant que les marchands de fers à repasser et autres ustensiles n’utilisent le livre comme « produit d’appel » par le dumping sur le prix pour appâter le chaland et lui vendre d’autres produits à marge bien plus avantageuse, qui permettra la « bibliodiversité » et l’accès à tous les livres et pour tous les lecteurs.

[#1] Livres Hebdo, 26 août 2011