Un vrai débat pour le service public suisse !

Numéro 34 – Juin 2012

Si le débat sur le service public audiovisuel, son périmètre ou la pertinence des émissions proposées est parfaitement légitime et normal, beaucoup d’affirmations approximatives, voire de contre-vérités perturbent cette discussion. Raison pour laquelle il semble utile de revenir sur quelques chiffres-clés et certaines évolutions professionnelles qui pèsent sur la place du service public dans notre pays. D’autant que le paysage médiatique est en proie à de très profondes mutations, qui touchent tout le monde.

On peut tout d’abord observer le passage d’un monde « broadcast » (la télévision) très régulé à un monde « broadband » (le web) libre et très peu réglementé. Cela pose de sérieux problèmes aux États qui fixent les mandats de service public dans des cadres législatifs. La dérégulation met en péril tout le modèle économique de l’audiovisuel qui se base notamment sur le contrôle, le respect et la valorisation du droit d’auteur dans une zone donnée à un moment donné.

À ce phénomène s’ajoute une énorme fragmentation des médias qui implique une concurrence massive, presque infinie, de l’addition des chaînes TV thématiques et de la vidéo à la demande (VOD), face à laquelle les médias généralistes publics ont de la peine à lutter.

Changement de paradigme pour l’audiovisuel

Il faut ensuite remarquer que les médias électroniques, particulièrement la TV, se développent dans deux directions simultanées, apparemment contradictoires mais toutes deux indispensables : d’une part la grande qualité numérique (Haute Définition TV, son 5.1, diffusion numérique, 3D) et les investissements lourds qu’elle nécessite ; de l’autre la mobilité, l’interactivité, la souplesse, la VOD, la participation.

Ces développements induisent des comportements de consommation des médias parallèles, complexes à satisfaire, avec d’un côté une logique chronologique, verticale, cloisonnée, basée sur une programmation linéaire et organisée par vecteurs ou chaînes ; et d’autre part, une logique horizontale, ou transversale, basée sur une consultation à la carte, séquencée, différée et organisée cette fois par thèmes. Cette approche transversale, ouverte, conduit au « social media » (Facebook, Twitter, Linkedin, etc…), qui fait partager à des tiers la consommation média personnelle et contribue au développement de communautés d’intérêt ou d’attitude.

Ces deux logiques imposent bien sûr aux médias de repenser leurs modèles d’organisation et de production des contenus, car les moyens ne seront pas nécessairement adaptés à ces nouvelles exigences. Et ces évolutions seront douloureuses et conflictuelles car elles mettront en cause des savoir-faire et des cultures professionnelles historiques.

Explosion et fragmentation des écrans comme de la consultation

Et pour ne rien simplifier, on assiste à une multiplication rapide des écrans.

Après les écrans TV classiques (qui se multiplient dans les foyers), les smartphones développent une excellente qualité vidéo. Les tablettes complètent le dispositif et se révèlent très efficaces pour suivre la TV. Les consoles de jeu vidéo sont aujourd’hui toutes connectées au web et offrent une très bonne qualité HD (live TV, web ou DVD). Et demain arriveront encore de nouveaux écrans comme les vitres (fenêtres, vitres d’appareils ménagers) ou les vitrines commerciales urbaines.

Tous ces écrans accueilleront des contenus, notamment de la vidéo, ainsi que de la publicité. Ils permettront de nouvelles écritures, de nouvelles narrations. La lutte pour l’attention du public sera alors terrible car le temps média n’est pas extensible à l’infini. À l’évidence, la prochaine vague majeure, après le web, sera la télévision connectée, qui permet une interaction avec le public à partir de l’écran TV principal.

Le prix de la redevance en Suisse : 1,14 CHF par jour !

Dans ce contexte, l’audiovisuel public se bat pour proposer des prestations de qualité et s’appuie pour cela sur un modèle de financement mixte : un tiers de recettes commerciales, deux tiers de redevance.

En Suisse, celle-ci s’élève à 462 chf par an, dont 415 chf pour la SSR (le reste va aux diffuseurs privés). Cela représente 1,14 chf par jour et par foyer pour 8 chaînes TV et 18 chaînes radios en 4 langues.

À titre de comparaison, et si l’on tient compte du pouvoir d’achat parmi douze pays européens étudiés, la redevance SSR se situe à la 6e place.
Voir le schéma ci-dessous.


Si la SSR produisait des programmes en une seule langue, au lieu des quatre dictées par la réalité suisse, la redevance serait d’environ 265 chf par an. Les 200 chf qui font la différence permettent de proposer des programmes de qualité équivalente dans toutes les régions linguistiques du pays.
Voir le schéma ci-dessous.


De manière générale, les médias en Suisse coûtent cher en raison du petit nombre d’habitants. Ainsi, par exemple, si un abonnement annuel à L’Hebdo se monte à environ 215 chf/an, un abonnement au magazine hebdomadaire français L’Express ne coûte que 122 chf.

Par ailleurs, on constate que la redevance a augmenté plus lentement en Suisse que dans la plupart des autres pays européens entre 2000 et 2010. Si elle a progressé en Suisse de 7 %, l’augmentation a été beaucoup plus marquée dans d’autres pays : +18 % en Autriche, +25 % en Allemagne ou encore +31 % en Grande-Bretagne.

Une concurrence impitoyable… et riche !

On le sait bien, la concurrence des chaînes de la SSR ne se situe pas au niveau des diffuseurs privés locaux mais des grandes chaînes françaises, allemandes et italiennes. Particulièrement en télévision. TF1, par exemple, rassemble 14 % de parts de marché en Suisse romande, alors que les TV locales pèsent entre 0,5 et 1 % de parts de marché dans leurs zones de concession respectives.

Autre rapport de force : le budget de la SSR pour ses 18 programmes de radio et 8 programmes de télévision s’élève à 1,6 milliard de francs et équivaut à celui de la seule chaîne France 2. Le budget global de France Télévisions et Radio s’élève quant à lui à 4,9 milliards de francs pour 7 programmes de radio et 5 de télévision.

Un succès public et un fort réinvestissement culturel

Malgré cela, les chaînes de la RTS résistent bien et sont toujours appréciées par le public romand : 816’000 Romands écoutent chaque jour les programmes radio et près de 850’000 suivent les deux chaînes TV (taux de pénétration 2011). En 2012, le site RTS.ch et les plateformes mobiles totalisent quotidiennement 250’000 visites. Enfin, les démarrages audios et vidéos s’élèvent chaque jour à 206’000, soit une progression de 19 % par rapport à l’addition des résultats des deux anciens sites RSR.ch et TSR.ch en 2011. Tous ces chiffres montrent que la SSR essaie d’utiliser au mieux les moyens dont elle dispose. En Suisse romande, par exemple, parallèlement à son offre d’information, de magazines et de fictions achetées, la RTS réinvestit chaque année près de 7 millions dans la coproduction de films (cinéma, séries et documentaires), diffuse 500 documentaires, enregistre 500 concerts de musique et propose quelque 2’000 heures de sport !

Autant d’éléments qui soulignent que la Suisse peut être fière de ses radios et télévisions publiques. Cela n’enlève rien au fait qu’un débat critique et permanent sur le mandat et la qualité des programmes est indispensable. Les professionnels de la RTS y sont parfaitement ouverts, pour autant toutefois que ce débat soit objectif et constructif.