TSR/M6 suisse, des années de combat
Depuis plusieurs années, Métropole Télévision diffuse en Suisse romande le programme français M6 grâce à deux signaux distincts. Le premier est destiné au public français et peut être capté par les téléspectateurs et câblo-opérateurs romands grâce au « débordement naturel » inévitable ; le second diffuse depuis 2002 un programme identique assorti de fenêtres publicitaires suisses (signal « M6 Suisse »). Or, les contrats de licence concernant les films et séries télévisées, en particulier les productions américaines, sont généralement limités territorialement, et les contrats conclus par M6 ne portent en général que sur le territoire français.
Depuis l’ouverture de ces fenêtres publicitaires, la SSR / TSR a considéré la diffusion du signal M6 Suisse comme une violation de la loi sur le droit d’auteur (LDA) et de la loi contre la concurrence déloyale (LCD), dans la mesure où ce signal, spécifiquement destiné à capter des ressources publicitaires suisses, excède les limites territoriales fixées par les ayants droit et engendre une distorsion de concurrence. Par ailleurs, du point de vue de la SSR / TSR, le signal M6 Suisse viole l’exclusivité de ses droits de diffusion et permet à M6 d’engendrer des recettes publicitaires sans verser de rétribution supplémentaire aux ayants droit des films et séries achetés spécifiquement par la TSR et diffusés en Suisse romande.
Le 12 février 2009, le Tribunal cantonal de Fribourg donnait raison à la SSR / TSR sur ces deux points. Mais le 12 janvier dernier, le Tribunal fédéral admettait finalement le recours de M6.
Des enjeux majeurs pour tous les médias romands
La SSR / TSR considère cette situation comme injuste et dangereuse. En effet, ces fenêtres publicitaires suisses peuvent affecter fortement un marché publicitaire suisse romand déjà très tendu. À terme, elles risquent d’entraîner une diminution sensible des recettes publicitaires de la SSR, bien sûr, mais aussi des autres médias suisses qui investissent dans le marché romand et qui permettent, notamment, aux artistes romands de se produire, aux auteurs de travailler ou aux réalisateurs de tourner des films. Plusieurs effets consécutifs à l’invasion des fenêtres publicitaires françaises sont en effet prévisibles.
Pression sur les prix de la pub
Il y a tout d’abord un écart important entre le volume de publicité diffusé par la fenêtre de M6 et le volume réellement vendu. Cet écart est favorable aux annonceurs qui obtiennent ainsi de la diffusion publicitaire gratuite. Ce volume gratuit peut évidemment doubler si d’autres diffuseurs commerciaux – TF1 par exemple – envahissent le marché romand. La gratuité de la publicité entraîne fort logiquement une pression immédiate et massive sur les prix de la pub et fragilise l’économie des médias qui ont besoin de ces recettes commerciales pour investir dans leurs contenus. Ce phénomène peut toucher la TSR, bien entendu, mais aussi les télévisions locales et régionales privées.
Transferts des investissements pub de la presse écrite vers les fenêtres TV ?
Le deuxième effet impactera probablement la presse écrite. Ce secteur est encore dominant du point de vue de la structure des investissements publicitaires. Les annonceurs investissent plus dans la presse écrite que sur les médias électroniques. Mais la presse écrite traverse une crise sans précédent. Sa situation économique est extrêmement fragilisée et attaquée, notamment par les nouveaux médias. Le développement massif des fenêtres publicitaires va créer un appel d’air en faveur du média TV, et de ces fenêtres en particulier. Ce transfert affaiblira davantage encore le modèle économique de la presse écrite et par conséquent des divers secteurs économiques qui en dépendent.
Le modèle des droits
Enfin, l’exploitation commerciale de contenus audiovisuels sur des territoires pour lesquels les droits n’ont pas été acquis, et ont même été vendus de manière exclusive à d’autres diffuseurs, met en question tout le principe de la commercialisation des droits, que ce soit pour le sport ou la fiction. Comment les propriétaires de droits vont-ils protéger les licences qu’ils vendent de manière exclusive ?
Pour la SSR / TSR, l’ouverture de fenêtres publicitaires doit dès lors se faire dans des conditions de concurrence équitables, notamment avec l’achat des droits de programmes exploités sur le plan commercial.
L’enjeu culturel
Au delà des argumentations juridiques, force est de constater que le marché peut être profondément et durablement bouleversé par la décision du Tribunal fédéral. Alors que les médias traversent une véritable crise existentielle, consécutive au changement d’habitude des lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et au développement massif des offres interactives, cette décision porte un coup très dur à tout le secteur.
Les fenêtres ne réinvestissent rien dans le marché qu’elles exploitent (on parle de 50 millions bruts pour la seule M6 Suisse). Alors, avec des médias romands affaiblis, on peut se demander qui, demain, pourrait investir dans la fiction et le documentaire romands. Qui aura les moyens d’engager et de former sur la durée des journalistes, des réalisateurs. Qui donnera du travail aux sociétés de production indépendantes qui se débattent tant bien que mal dans un petit marché ?
Derrière ce combat se pose une fois de plus la question de la capacité de production culturelle de la Suisse romande. Une capacité fragile mais si importante pour l’identité de cette région francophone minoritaire. Une question majeure qui est posée à tout le monde.