Catherine Wacker : « Les photographes me montrent le monde »

Numéro 37 – Mars 2013

Quelle est la place du responsable photo dans un journal quotidien ou dans un hebdomadaire ? Ce métier n’est pas si ancien que cela en Suisse romande. Il date de la fin des années 70. Avant la création de ce poste, quelqu’un de la rédaction choisissait des photos pour illustrer un article. Il se servait surtout de l’archive photo d’Edipresse – depuis 1960, le plus grand de l’arc lémanique en photos noir / blanc – et aussi de ceux de Ringier et de Keystone à Zürich. Il fallait partir avec courage à la quête de la photo dans des centaines de cartons d’archives. Maintenant, l’accès aux bases de données permet une recherche rapide et bien plus variée.

En créant L’Hebdo en 1981, Jacques Pilet a tenu à mettre en avant l’image. Il voulait donner une vraie ligne graphique à son magazine et, dans ce but, a créé le poste de responsable photo qu’il a confié à Dominique de Rivaz, puis, en 1982, à Catherine Wacker, rédactrice images qui a cette charge jusqu’en 1992 avant de l’exercer au Nouveau Quotidien, puis, en 1998, au Temps. Aujourd’hui, fidèle à ses premières amours, elle est retournée à L’Hebdo.

À ses débuts, ce magazine faisait appel à des photographes indépendants qui travaillaient principalement en noir et blanc. Étant donné son coût, la couleur était réservée essentiellement à la couverture. C’était l’exception.

À l’heure actuelle, la tendance est complètement inversée. On utilise avant tout le noir et blanc pour souligner graphiquement un événement du passé ou un décès. Aujourd’hui le noir et blanc est devenu un choix d’exception, la couleur, l’image quotidienne.

Rapport entre la rédaction et les photographes

À la séance de rédaction du matin, les journalistes proposent leurs sujets et c’est dès ce moment-là que la rédaction photo commence ses recherches pour illustrer les articles. Les images viendront soit d’archives, soit seront commandées à un photographe attitré du journal ou à un freelance. Les journalistes n’apportent pas de photo, à l’exception de ceux qui couvrent le domaine de l’Art, des expositions ou du cinéma. Aujourd’hui, L’Hebdo n’a toujours pas de photographe attitré. Cela reste le privilège de quotidiens et de magazines comme 24 Heures, La tribune de Genève, Le Temps ou L’Illustré qui peuvent encore se permettre d’avoir leurs photographes maison.

Le photographe attitré peut vivre de son salaire, ce qui n’est pas le cas des indépendants qui se réunissent souvent en agences pour une meilleure rentabilité financière. Trois journaux ont privilégié le choix de l’image. L’Hebdo à sa création, Le Nouveau Quotidien et, dans son évolution, Le Temps.

« J’ai dû me faire à la couleur avec L’Hebdo et Le Temps, car pour moi la photo en noir et blanc a plus d’impact. Je remarque tout de suite quand on a affaire à un photographe qui a une vision des choses, qui cherche un angle, qui maîtrise son sujet, qui tire bien ses clichés ou traite avec attention ses images numériques. Le rédacteur en chef et les journalistes ne se rendent pas toujours compte du long travail qu’accomplit la ou le responsable de la photo. Celui-ci donne au photographe choisi une tâche, puis lui fait confiance. Il lui faut aussi le rassurer, mais parfois aussi contester ses choix et lui demander de retourner sur les lieux. »

« Quand on donne à un photographe un travail, on attend de lui un résultat. Or les photographes ont peur du refus. La plupart d’entre eux sont à la fois précis et hypersensibles. Il y a quelques années, ils imposaient leur choix en s’appuyant sur un statut d’auteurs. Aujourd’hui, la rédaction détermine davantage le processus, s’éloignant parfois des critères esthétiques ou documentaires. »

Aujourd’hui le noir et blanc est devenu un choix d’exception, la couleur, l’image quotidienne.

« Je choisis les photographes selon le sujet, leur sensibilité sur un thème ou un événement, leur point de vue personnel. Leur travail accompli, certains vous proposent un choix restreint de photos. D’autres, qui manquent de confiance en eux, vous en proposent cinquante. Parfois, mandaté pour un portrait, un photographe n’arrive pas à décrypter la personne qu’il a en face de lui. Il doit apprendre à obtenir de celle-ci une émotion libérée spontanément, comme si l’objectif n’était pas braqué sur elle. Dans un bon portrait, il doit y avoir du donnant-donnant, sans quoi l’image est comme absente à elle-même. »

De plus en plus de photographes reviennent au noir et blanc, mais en numérique. Avec celui-ci, tout le monde pense devenir un artiste. Or n’est pas photographe qui veut !

Il y a tellement d’images partout que, souvent, les rédactions veulent retrouver dans leur journal ce que le public a déjà vu sur le petit écran… et c’est une grande erreur. Il faut se placer dans une autre perspective que celles définies par la télé. Il y a autant de différence entre une image en mouvements et une photo fixe, qu’entre un texte et une photographie.

Pas de discussion : la photographie vit bien pour elle-même. Souvent dans les rédactions des journaux tout le monde donne son avis sur les photos. Cela tue la ligne éditoriale photo du journal, celle-ci ne pouvant exister que si elle dépend du choix de une à trois personnes au plus. Une façon de travailler de plus en plus rare et difficile à rétablir.

Et cela est fort dommage.