Bernt Frenkel : parcours d’un enseignant chanteur & poète

Numéro 41 – Mars 2014

Quand Bernt Frenkel entre à l’Université de Neuchâtel, il choisit les lettres pour découvrir comment les grands auteurs construisent leurs textes et pour apprendre encore comment exprimer plus précisément une idée – un bel outil pour aborder la chanson. Il opte aussi pour la philosophie comme chemin pour mieux penser, pour interroger sa manière de réfléchir, sans formule prête-à-penser. Titulaire d’une licence, dont le mémoire est consacré aux relations texte-musique dans la chanson française contemporaine, Bernt Frenkel enseigne actuellement à l’École Technique du Locle et au Lycée Blaise-Cendrars de la Chaux-de-Fonds pour lequel il est également délégué culturel. En parallèle, il pratique différentes activités artistiques dont celles d’acteur et de chanteur. Le théâtre lui permet d’approfondir la manière de transmettre les émotions. Depuis plusieurs années, il anime avec trois autres musiciens la Compagnie C.A.B.A.R.T avec laquelle il présente ses propres chansons : « Des textes donnant à penser, qui sont mis en musique de manière ouverte ou compacte, et sont traversées de tensions. »

« Bien sûr,
Nous sommes des funambules
Dans les infinis contraires
Le magma des molécules
Le cachot de l’univers
Bien sûr,
La légèreté pesante
De nos questions est splendide
Mais peut-on vivre sans entendre
L’appel effrayant du vide ? »
[1]

Sur votre disque, vos chansons durent au delà de 4’45’’ et arrivent même à 9’41’’. Est-ce un handicap pour passer sur les ondes ?
Bernt Frenkel : Ça l’est. Mais nous en sommes conscients. C’est un handicap parmi d’autres. On entend souvent dire qu’en radio, la musique est formatée. Mais qu’est-ce qui se cache sous cette idée générale ? La première fois que j’ai entendu parler des paramètres de formatage, ce fut lors d’un workshop avec Hervé Riesen, qui était à l’époque programmateur musical pour Couleur3. Il a simplement dit ceci : si vous êtes dans un groupe qui n’est pas connu et que vous ne pouvez pas imposer votre musique par votre nom, il y a quelques règles à respecter. Pour un groupe francophone, une chanson ne doit pas dépasser 3 minutes 15 ; la voix doit entrer dans les 10 premières secondes (pour faciliter la reconnaissance de l’objet commercial), le refrain dans les 30 premières et être répété quatre fois. Je cite de mémoire, mais en substance, c’était de cet ordre-là. C’est donc un choix de suivre les règles de ce jeu, ou non. Si l’on décide de jouer, cela implique, par exemple, la présence d’un refrain, ce qui ne va pas forcément de soi. Parce qu’un refrain c’est un même texte qui revient plusieurs fois, qui donne donc une structure cyclique. Or toutes les chansons ne demandent pas ça… Il existe également des « suggestions » de ce type pour le texte lui-même ou pour le traitement du son.

C’est dans le cadre de la chanson que j’ai le plus à offrir et à apporter… mais je sais que cela ne me permet pas d’en vivre.

Autre exemple : la plupart du temps, en radio généraliste ou radio « jeune », il n’y a pas de différence d’intensité. C’est dû au fait que le tout est compressé de sorte à ce qu’il y ait un volume de sortie égal. Les parties calmes sont artificiellement montées, tandis que les climax sont descendus. L’avantage : pas besoin de tourner le bouton de volume de la radio. L’inconvénient : on tue un aspect essentiel de la musique. Pour comparer, en musique classique, cette pratique de la compression est moins présente ; c’est pour cette raison que lorsque l’on met un disque, on a l’impression que ça commence plus doucement que dans d’autres albums. Enfin, dernier exemple, dans les musiques « radiophiles », il manque souvent beaucoup de silences…

Comment former l’esprit des élèves pour leur donner l’envie d’aller chercher des chansons hors des sentiers battus par les One-hit wonder ?
Je dirais que l’idée de former l’esprit des élèves est un peu forte. Je pense que l’on peut provoquer des ouvertures. Mais entrer dans une démarche qui souhaite prouver que ce que je leur apporte vaut la peine d’être écouté ne me semble pas judicieux. Il est des géants qui écrasent. Je pencherais davantage pour des propositions plutôt que des impositions, même si l’on n’a pas toujours de retour. Il faut y croire et compter un peu sur l’enseignement à retardement. On propose une idée, une (autre) sensation musicale et si elle ne les fait pas vibrer de suite, cela viendra peut-être plus tard. En croisant un ancien élève ou l’autre au gré des hasards, il m’est arrivé de constater cela. Il s’agit donc d’offrir une ouverture, par laquelle ils peuvent tendre l’oreille ; montrer qu’il existe d’autres musiques que ce qu’on peut leur proposer à tout-va. Mais parfois ce sont eux qui me font découvrir un groupe. Dire que ce sont les enseignants qui, toujours, apportent la culture est trop généralisant.

[#1] Téranano de Bernt Frenkel