Nicolas Bideau – « N’ayons pas peur du marché ! »

Numéro 8_9 – Janvier 2006

Voici bientôt cent jours que Nicolas Bideau a quitté le Centre de compétence pour la politique étrangère culturelle du Département fédéral des affaires étrangères pour reprendre la direction de la Section du cinéma de l’Office fédéral de la culture. Il a rencontré pendant cette période de nombreuses associations et personnes actives dans les métiers du cinéma. CultureEnJeu fait le point avec lui sur les choix qu’il se propose de mettre en application en 2006.

Quelles sont les améliorations que vous vous proposez d’introduire dans le fonctionnement de la Section du cinéma ?

J’aimerais que l’on tienne davantage compte, dans les attributions des subventions, du lien existant entre les aspects qualitatifs de la fabrication d’un film et ceux de son potentiel populaire, c’est-à-dire grand public. Nous devons, dans un premier temps, sélectionner les meilleurs projets et, dans un second temps, nous donner les outils pour vendre au mieux ces films aux spectateurs en Suisse et bien sûr aussi à l’étranger.

Mais comment peut-on définir « les meilleurs projets » ?

Tout d’abord il faut, déjà au niveau de l’agrément des dossiers, considérer le film sous ses aspects techniques et artistiques. Il faut évaluer toutes les pièces du vélo, vérifier qu’il puisse rouler, être performant techniquement... Que la machine de fabrication puisse le porter jusqu’au bout, jusqu’à l’écran. Ensuite, il faut en vérifier l’histoire, le discours narratif, la dramaturgie, et cela aussi bien dans la fiction que dans le documentaire. Enfin, il faut tenir compte de la carrière de l’auteur et / ou du réalisateur, et du professionnalisme de l’équipe technique. Il me semble absurde qu’un auteur d’animation comme Schwizgebel ait, dans la même période, un film primé au Festival de Cannes et un projet rejeté par la Section du cinéma pour un détail technique manquant dans son dossier. Il est important que les comités d’experts puissent donner toute leur énergie et leur savoir à l’analyse de nos meilleurs projets. Aujourd’hui, il n’est pas rare que nos experts passent plus de temps à motiver des refus qu’à conseiller la Section sur les films avec un vrai potentiel !

Que pensez-vous des activités de Swiss Films ?

C’était une très bonne chose que Swiss Films ait rassemblé, sous un même toit, le Centre suisse du cinéma, le service cinéma de Pro Helvetia, les activités de l’agence du court métrage et Film Location Switzerland.
Il faut que maintenant, après deux années d’essais, cette nouvelle structure passe à la vitesse supérieure et se consacre davantage à la présence et à l’aide à la vente des films suisses à l’étranger. C’est avant tout cette mission qui m’intéresse.

Qu’en est-il de nos rapports avec Eurimages et avec Media ?

Je participerai personnellement aux prochaines réunions d’Eurimages afin de mieux me rendre compte de la position helvétique dans cette structure internationale.
Quant au Programme Media, je suis très content que notre implication devienne plus réelle maintenant suite aux accords qui sont en train de se finaliser. Il ne s’agira plus, dorénavant, d’un exercice de confrontation entre cinéastes suisses, mais d’une vraie confrontation des Suisses avec les Européens.

Comment rendre populaire en Suisse un film suisse ?

Tout d’abord, il faut éviter de penser aux films suisses dans le marché des films suisses, mais intégrer les films suisses dans le marché des films en Suisse. J’ai constaté avec surprise que la branche cinématographique suisse, du réalisateur au distributeur, connaît assez mal les caractéristiques de ce marché.

Quels sont les goûts des spectateurs suisses ? Des films de société pour un public alémanique ? Des films de réflexion pour un public romand ? Des films d’action pour le grand public plus jeune ? Il faut absolument connaître les réponses à ces questions si l’on veut opérer des choix promotionnels cohérents. À cet effet, nous allons lancer au plus vite une large enquête dans toute la Suisse.

Certains auteurs helvétiques ont déjà trouvé la clé juste pour ouvrir la porte du public. Ils ont risqué et ont gagné. « Achtung, fertig, Charlie ! » et « Mein Name ist Eugen » ont été reçus sans aucune hésitation par le public alémanique. Quant à « Mais im Bundeshuus Le génie helvétique », il a conquis les spectateurs romands. Mais ces cas restent une minorité. Si nos films sont de qualité, et ils le sont, n’ayons pas peur du marché, ce n’est ni un fantôme ni un démon, il fait partie de la grande aventure du cinéma, ni plus ni moins.