Rue de la Roquette

Numéro 41 – Mars 2014

Il y a souvent une part d’autobiographie dans ce que je chante... À dire vrai, elle n’habitait pas rue de la Roquette, mais une ruelle adjacente, dont le nom n’appelait pas de rime intéressante. Pour la richesse du texte, j’ai donc trahi la vérité… « Le poète, disait Léon Francioli, est le frère aîné du menteur… » Pour ce qui concerne le « homard en céramique », j’ai emprunté cette image à Michel Devy, musicien, calligraphe, arrangeur à la gouaille de Titi parisien, pour qui cet objet, posé sur le buffet du salon, était le symbole même de l’embourgeoisement. Le reste est de moi, et reflète au mieux la réalité.

Je me vois encore dans la petite chambre de la rue du Château, à Montparnasse, où je l’ai composée. J’avais en plus écrit un cinquième couplet, où il était question de jupons compliqués et d’une radio allumée jour et nuit… je l’ai perdu ! Je le regrette.

Un aveu encore… Contrairement à ce que j’affirme à la fin du texte, nous nous sommes revus, par hasard, quelques années plus tard à la terrasse d’un café, place de la Contrescarpe. D’abord, je ne l’ai pas reconnue… puis nous avons souri en évoquant cette jolie et brève histoire.

Michel Bühler, Rue de la Roquette, 1969

Elle habitait Rue de la Roquette,
Tout en haut d’un vieil escalier,
Chez elle y avait pas de moquette
Sur le palier,
Pas de homard en céramique
Sur un buffet Louis Machin,
Rien qu’un grand lit plein de musique,
Et c’était bien.
Son compagnon, un photographe,
S’était tiré quelqu’s mois plus tôt,
Et l’avait laissée en carafe
Comme un salaud.
Depuis elle attendait sans hâte
Que reviennent des jours meilleurs,
Entre des fleurs et une chatte
Folle d’ailleurs.
C’est elle qui m’avait accueilli
Lorsque je traînais dans Paris.
La journée elle était graphiste,
Le soir, elle fumait un peu,
Simplement pour être moins triste,
Pour être mieux.
Elle gardait d’un lointain dimanche,
Plus que les autres gris et laid,
De fines cicatrices blanches
À ses poignets.
Elle avait des amis bizarres,
Des Québécois trapus, barbus,
Des ivrognes que par hasard
J’avais connus.
Et c’est dans la Rue des Canettes,
Un soir de bière et de chansons,
Un soir où je faisais la fête
Que sans façon,
Elle m’avait dit. «Viens dans mon lit
Au lieu de traîner dans Paris».
Elle avait des caresses lentes,
Comme quand on a tout son temps,
Elle avait des gestes d’amante
Oui, et pourtant
Y avait pas d’amour entre nous,
De serments ou de cinéma,
J’m’en méfiais plutôt, voyez-vous
En ce temps-là.
Avant qu’la chanson se termine,
Il faut encore que vous sachiez
Qu’elle avait la bouche enfantine,
De petits pieds.
Ces choses-là avaient d’l’importance
Pour moi, comme ses cheveux roux,
Puis elle est partie en vacances
Je ne sais où.
Je ne l’ai pas revue depuis,
Alors moi, j’ai repris ma vie.
Celui qu’a fait cette complainte
Se souvient encore à présent
De son cou, de ses lèvres peintes
De ses seins blancs.
Il envoie un peu de tendresse
À celle qui l’avait accueilli,
Alors qu’il traînait sa tristesse
Dedans Paris.
Un peu de tendresse comm’ça,
En souvenir de ce temps-là,
Un peu de tendresse, et c’est tout,
Simplement parc’que c’était doux.