Erling Mandelmann : « Vivre des revenus du photo-journalisme ? »

Numéro 37 – Mars 2013

Erling Mandelmann est-il un cas à part dans l’univers du photo-reportage ? Le photographe d’origine danoise a traversé la deuxième moitié du XXe siècle en immortalisant ses contemporains. Il est parvenu à la retraite sans avoir eu recours à la photo commerciale pour arrondir ses fins de mois.

Un reporter-photographe peut-il vivre de son art ? « Art n’est pas le mot, je suis un artisan », coupe l’homme qui a traversé la deuxième moitié du vingtième siècle en immortalisant ses contemporains. Avant de reprendre le fil : « mais c’est vrai que j’ai eu la chance de pouvoir travailler jusqu’à ma retraite grâce aux revenus du journalisme. Je n’ai jamais fait de la photo commerciale, par exemple. »

Pour définir Erling Mandelmann, on serait tenté d’ajouter une dimension – elle fait honneur à ses origines danoises –, celle de l’explorateur. C’est mû par une inextinguible curiosité que Mandelmann accomplit ses missions. Le goût de l’aventure le poursuit depuis l’adolescence, quand, armé d’un Rolleiflex, il arpentait les rues de Copenhague. Il n’était encore qu’un apprenti de commerce dans une multinationale du pétrole. Son univers professionnel se cantonnait à l’informatique et aux charmes très peu frivoles de la carte perforée. L’événement déterminant dans sa « carrière » – les guillemets sont de mise car il n’aime pas le mot – est sa rencontre avec le photographe de mode Jorn Freddie dont il devient l’assistant. Cette expérience le poussera à entreprendre des études et à s’inscrire à l’école de photographie de Vevey. C’est là, dans l’établissement créé et dirigé par Gertrud Fehr, qu’un grand professionnel du reportage, le Valaisan Oswald Ruppen, le prend en charge.

Étudiant, Mandelmann se signale vite par un culot qui lui ouvre beaucoup de portes. En témoigne le récit de sa rencontre avec Rubinstein. Le grand pianiste jouait au Septembre musical de Montreux et logeait au Palace. « Je l’ai appelé directement dans sa chambre, il m’a donné tout de suite rendez-vous. J’étais intimidé, pensez donc, mais finalement j’ai réussi à le mettre à l’aise. Tel est le défi du photographe. » Le sens du contact en est un autre. « Cette qualité est très importante en vue de créer un réseau susceptible de vous assurer des mandats. »

Sur les bancs de l’école, il avait rencontré celle qui deviendra sa conjointe et avec qui il s’installe à Lausanne. « J’habite encore dans cette ville, 48 ans après ! » L’agence zurichoise Comet lui confie le soin de couvrir l’Expo nationale de 1964. « J’étais son photographe attitré, je disposais d’un bon salaire, d’une voiture, d’un équipement technique. » Après cela, nous nous sommes lancés avec ma femme en tant que journalistes indépendants. Nous allions à Londres photographier, entre autres, le manoir de Churchill, notre premier grand reportage. Nous travaillions pour le compte de grands magazines comme Schöner Wohnen. Une époque révolue. Aujourd’hui la plupart de ces publications ont disparu. »

Encore jeune, Erling Mandelmann perd son épouse qui meurt d’un cancer, âgée seulement de 40 ans. Le journaliste doit mener de front l’entretien et l’éducation de ses deux filles et son intense activité de reporter. « Étant étranger, j’avais peu de famille autour de moi mais j’ai bénéficié de l’aide d’un grand nombre d’amis. C’est ainsi que j’ai pu continuer à voyager, notamment pour le compte des guides Berlitz. »

« Art n’est pas le mot, je suis un artisan. »

On l’aura compris, Erling Mandelmann n’est pas un photographe d’atelier. Son terrain d’action est la scène humaine dans ce qu’elle a de naturel et d’amical. Les lieux que balaie son objectif – que ce soit la cour d’une école ou le jardin d’un couvent – ne sont jamais figés. Les personnages qu’il saisit sur la pellicule semblent décontractés et ne se prennent pas au sérieux. Pourtant ils sont souvent célèbres. De Brassens à Henri Guillemin en passant par Chappaz, Chaplin, Freddy Buache et Albert Jeanneret, on ne compte pas la palette de ses « trophées ». Tous reposent désormais au Musée historique de Lausanne à qui Mandelmann a confié ses archives.

Dans le livre Rencontres – Portraits de 35 ans de photo-journalisme, paru en 2000 aux Éditions Benteli, Erling Mandelmann leur rend hommage. Mais il tient à dissiper un autre malentendu : « Je ne suis pas un portraitiste. J’ai acquis cette réputation chez un ami, le mécène suédois Ahrenberg. Dans sa maison de Chexbres, il recevait le gotha du monde de la culture. Je n’avais qu’à saisir l’occasion quand elle se présentait. C’était fascinant d’avoir des relations cordiales avec ces personnes. »

Les conseils du maître aux jeunes générations de photo-reporters ? « Je n’en ai pas », répond modestement l’intéressé qui s’avoue désemparé face à l’évolution actuelle. « La photo reste un métier difficile, elle implique un engagement, il faut foncer. Sur le plan matériel, elle requiert un sens minimum de l’organisation afin de rechercher des revenus pour faire bouillir la marmite. Quand on a une famille à charge, le plaisir que l’on peut retirer de son activité passe après. Pendant 18 ans j’ai eu un fixe à 50% en travaillant pour l’hebdomadaire Construire, cela m’a permis de constituer un fonds de retraite sans lequel je ne pourrais pas vivre aujourd’hui. »