Isabelle Chassot, l’OFC et la littérature

Numéro 43 – Septembre 2014

Je commencerai par un constat : on dit la littérature en danger, mais je pense qu’elle est plus vivante que jamais. La littérature constitue un de mes environnements culturels préférés, je ne peux pas m’imaginer ne pas lire. J’ai toujours un livre avec moi, j’essaie de tirer parti des temps de voyage, des temps de pause pour lire, sur ma table de nuit j’ai toujours plusieurs livres. Et je tiens compte de la critique littéraire. Je me laisse influencer par l’analyse qui est faite d’un bon livre, et après je vais l’acheter – en librairie, car je tiens à soutenir les librairies.

En tant que directrice de l’Office fédéral de la culture, comment aidez-vous la littérature ?
Dans le système actuel, l’aide à l’édition relève des cantons, avec des différences notables d’un canton à l’autre, et le plus souvent c’est l’impression des livres qui est soutenue, et non ce travail comparable à celui du producteur de cinéma qui est celui d’un accompagnement critique de l’auteur, d’un dialogue constant pour l’amélioration de la qualité ; c’est là que nous voulons intervenir avec des montants que l’on peut estimer insuffisants mais tout de même importants pour tout ce travail qu’on qualifie d’immatériel. La Confédération a en outre confié à Pro Helvetia le soutien à la traduction littéraire qui va être intensifiée avec l’enveloppe à disposition. La promotion de la littérature hors de Suisse est également un des rôles de Pro Helvetia. Nous sommes conscients du besoin. Mais nous sommes conscients aussi de la difficulté : la littérature est liée à la langue, la promotion du livre n’est pas la même, et cette partie du travail n’est pas évidente.

Comment se fait-il que la Confédération, qui a pris conscience de l’importance d’aider les producteurs de cinéma pour que les films suisses ne soient pas noyés dans le flot de la production mondiale, n’aide pas la littérature avec la même rigueur ? La Confédération a énormément aidé les producteurs de cinéma. Mais les producteurs de littérature, les éditeurs, ne sont pas aidés de la même manière. Sur le marché international, la littérature est pourtant confrontée à des difficultés équivalentes. Dans la fabrication du livre, le producteur est essentiel. Un livre bien édité, qui est beau, est irrésistible. Cela contribue au succès du contenu.
Le problème ici, c’est qu’on est en train de comparer un domaine où la Confédération a une vraie compétence, le cinéma, qui permet de soutenir un film de l’idée du scénario jusqu’à la distribution, avec un domaine, la littérature, pour lequel nous avons qu’une compétence subsidiaire.

Il s’agirait donc d’accroître ces compétences.
Pour ça, il faudrait une modification constitutionnelle, par exemple par le biais d’une initiative populaire demandant une loi fédérale sur la littérature. La grande différence est là. Pour le cinéma nous disposons d’un article constitutionnel qui nous donne la compétence, cela vaut également pour les monuments historiques, et depuis peu pour la musique. Pour tout le reste l’intervention de la Confédération ne peut être que subsidiaire. Nous pouvons, et devons à mon avis, intervenir là où il y a un intérêt national, mais jusqu’à maintenant il a été compris comme une nécessité de faire dialoguer les régions entre elles, afin de promouvoir la compréhension mutuelle. C’est pour ça que la traduction des livres est plutôt bien soutenue.

Mais même dans le cadre actuel, des améliorations peuvent être apportées, notamment dans l’aide aux éditeurs. Nous nous sommes par exemple rendu compte que d’une part les subventions aux éditeurs représentent 20 % de toutes les aides à la littérature, et d’autre part que le 87 % de cette somme est destiné à la fabrication des livres. Il ne reste que 13 % pour le travail immatériel. Par conséquent seulement 3 % des aides à la littérature vont au travail immatériel des éditeurs. Ces chiffres nous font beaucoup réfléchir avec nos partenaires dans le cadre du Dialogue national.

Qu’est-ce que vous appelez travail immatériel ?
Nous voyons que les maisons d’édition sont confrontées à des défis et difficultés de plusieurs ordres, notamment à la numérisation. Et ce ne sont pas les seuls : un certain nombre de maisons d’édition n’ont plus de lectorat. Nous voudrions soutenir un lectorat professionnel, la numérisation des catalogues, car s’ils ne sont pas numérisés, ce sont des maisons d’édition dont on ne distribue plus les livres.

Et la numérisation des livres eux-mêmes.
Oui, également, pour qu’ils puissent être distribués. C’est tout cela que nous appelons le travail immatériel dont nous sommes en train de définir les contenus qui devront ensuite être concrétisés dans une ordonnance. Nous discutons avec les représentants des éditeurs. Il faudra passer auparavant la rampe au parlement avec cela, et nous savons que ce ne sera pas simple. Mais ce n’est pas une raison de ne pas nous engager, au contraire. Soyons positifs.