Le chant de nos mers

Numéro 56 – Décembre 2018

S’il n’était pas obligatoire de payer la redevance, et que cela restait seulement un choix individuel, alors je la payerais certainement.

Je suis né sur une île. Au sud nous avons des frères et des cousins. Nous sommes faits de la même pâte, mais le fil subtil qui nous divise est suffisant à nous faire sentir que l’air que nous respirons a un autre parfum, et que, d’ici et de l’autre côté des rives de cette mer, nous sommes habitués à des règles et à des traditions différentes. Les détails changent, mais ce sont précisément ces derniers qui différencient les diverses tribus. Au nord, il y a également une mer invisible qui nous sépare de frères et de cousins de sang, qui parlent une langue autre que la nôtre, qui épicent leurs plats de manière spéciale, qui rient de blagues que je ne comprends pas, mais que, aux grandes fêtes officielles, j’embrasse comme s’étreignent les proches et les membres de la famille réunis autour du repas de Noël.

En courant d’un côté à l’autre des trottoirs, on traverse ce passage de mer imaginaire.

C’est une mer que nous souhaiterions sereine, magique, enrichissante. Une mer qui nous permette aussi de nous sentir uniques et originaux comme se ressentent habituellement tous les insulaires.

Pour nous rappeler qui nous sommes et pour pouvoir le raconter à qui veut nous entendre, il faut que nous ayons des moyens et des outils adéquats. Nous avons besoin de voix pour le dire, d’histoires à raconter, d’une mémoire à conserver et à transmettre.

Notre pays est un petit pays et nous italophones au sein de ce micro univers, nous avons besoin de porteurs de paroles qui nous présentent, qui génèrent des pensées, de la réflexion, de la culture. Nos radios et nos télévisions servent à cela et doivent rester les nôtres. Elles doivent nous appartenir et devraient continuer à générer la vibration sonore de cette mer imaginaire qui nous protège.

J’ai quelques petites idées personnelles que parfois je partage au bar avec des amis : faire jouer l’équipe nationale de foot contre le Portugal, créer une nouvelle organisation du trafic urbain devant chez moi, proposer la radio et la télévision que je voudrais. J’ai mes idées et j’aimerais tant qu’elles soient un peu prises en compte. Je pense que la redevance devrait être distribuée différemment, soutenant plus fortement les radios et les télévisions privées. Je pense que nous devrions continuer à nous mettre en question, en essayant d’innover, en utilisant un autre mode de raisonner avec des idées nouvelles. Ceci dit, je ne rêverais jamais de « faire sauter » l’équipe nationale parce qu’elle ne joue pas comme j’aimerais, ni de supprimer le son sourd du va et vient des vagues d’une mer qui m’accompagne depuis que je suis gamin, qui me défend et me rappelle d’où je viens.

Il y a des prix à payer pour vivre sur une île entourée d’étendues d’eau. Mers imaginaires si belles qu’on les traverses à la nage sans se mouiller, mers faites d’eau tellement légère et douce qu’on peut aussi la boire.

Il serait insensé d’étouffer ce chant répétitif et mélodieux qui en fin de compte est la sonorité de notre identité et la respiration de notre mode d’exister. J’adore vivre sur cette île qui pour exister a besoin du chant de cette mer imaginaire que nous tous devrons savoir protéger en le réinventant chaque jour.

Moi, ce prix-là, je suis disposé à le payer.

33 % Part des ressources de la SSR dévolue à la Suisse romande (population = 23%)

43 % Part des ressources de la SSR dévolue à la Suisse alémanique (population = 73%)

22 % Part des ressources de la SSR dévolue à la Suisse italophone (population = 4%)

2 % Part des ressources de la SSR dévolue à la Suisse rhéto-romanche (population = 0,5%)