Télévision suisse & cinéma suisse, un partenariat de longue date
C’est le cas dans tous les « petits » pays européens. En Belgique, aux Pays-Bas, dans les pays nordiques : en-dessous d’un bassin inférieur à 10 millions d’habitants, les télévisions publiques sont des alliées incontournables de leurs cinématographies nationales. Pourquoi cela ?
Parce qu’une télévision nationale a besoin de produire et de diffuser des récits de sa nation. Elle ne peut se contenter de reprendre indéfiniment des séries américaines, si brillantes soient-elles. Elle a pour mandat de raconter des histoires pour tous ses publics et pas seulement pour les insomniaques qui dévorent des films et séries en VOD. Le fait est que diffuser des oeuvres nationales de fiction et de documentaire (des films danois au Danemark, des films finnois en Finlande) dépasse simplement les notions de « diversité culturelle » ou de « mandat de service public » et répond à un profond besoin sociétal : celui d’offrir un reflet du monde dans lequel nous vivons et pas seulement de celui dans lequel nos voisins vivent.
Les rapports entre cinéma suisse et télévision suisse relèvent eux aussi de cette logique mais avec une réalité multiculturelle plus complexe. Chacun sait que la SSR est constituée de quatre entités, chacune étant dédiée à une langue nationale. Chaque entité a pour mandat, notamment, de produire ou coproduire des oeuvres de fiction et de documentaire dans sa langue, cela avec des moyens adaptés à son bassin de population et en collaboration avec les auteurs, producteurs, interprètes et techniciens de sa zone linguistique.
Cette collaboration est formalisée au sein d’un accord intitulé « le Pacte de l’Audiovisuel » négocié entre les parties chaque 4 ans et dont l’édition en cours comprend un montant de 27,5 millions de francs suisses. Ces moyens financiers vont se répartir entre les entités sur des oeuvres de télévision (pour lesquelles le pouvoir éditorial est essentiellement dans les mains des responsables de chaque unité) et des oeuvres cinématographiques (pour lesquelles le pouvoir éditorial est dans les mains des producteurs dits indépendants). Logiquement, les entités vont mettre plus de moyens financiers dans une oeuvre de télévision que dans une oeuvre cinématographique et tout aussi logiquement, ce financement va déterminer leur première utilisation publique : télévision ou cinéma.
Offrir un reflet du monde dans lequel nous vivons et pas seulement de celui dans lequel nos voisins vivent.
Cette forme de collaboration - qui est identique à celle des autres « petits » pays européens - prend sa source dans les années 70 : à la RTS de l’époque travaillent Alain Tanner, Claude Goretta et Michel Soutter, et l’allocation de moyens de productions à leurs premiers films de cinéma a permis l’émergence sur la scène internationale du « nouveau cinéma suisse ». Ce succès a été mis à profit par les professionnels des autres régions du pays pour mettre sur pied une collaboration régulière avec les autres entités de la SSR. Dans le cas de la Suisse alémanique, le dialecte va devenir une pierre angulaire de cette politique car si la SF (Schweizer Fernsehen) ne produit pas d’oeuvres de fictions en dialecte alémanique, qui va le faire ? Certainement pas les télévisions allemandes !
Ainsi, au fil des décennies, une fructueuse collaboration entre la télévision suisse et le cinéma suisse s’est ainsi nouée. Certes, celle-ci n’a pas la même couleur à Genève, à Zurich ou à Lugano car elle épouse les réalités socioculturelles respectives.
L’initiative NO BILLAG attaque le coeur de ce dispositif en entraînant de facto la disparition de la SSR et en supprimant ainsi environ 25 % des moyens financiers du cinéma suisse fiction et documentaire, tout en réduisant à néant la production d’oeuvres de télévision. Au lendemain de la votation, si elle devait emporter la majorité, qui montrerait nos films, qui raconterait nos histoires ? Certainement pas les télévisions des autres pays !