La RTS , vecteur d’identité depuis sa naissance

Numéro 56 – Décembre 2018

Si la Suisse romande existe, on le doit beaucoup à la radio qui, depuis 1922, a relié les populations des cantons francophones en les fédérant autour de programmes communs.

Le leitmotiv ressurgit périodiquement dans le débat politique, tel un scotch dont on ne parvient pas à se débarrasser : « La Suisse romande n’existe pas ». Démontrer qu’entre les six cantons francophones les intérêts ne sont parfois pas communs ouvre d’irrésistibles perspectives : si la Suisse romande n’existe pas, alors il n’y a pas de Roestigraben non plus, cette affreuse différence de sensibilités entre Alémaniques et Romands que certains dimanches soirs de votation la carte des cantons s’obstine à dessiner. Si la Suisse romande n’existe pas, alors tout va bien dans le meilleur des mondes helvétiques, il n’y a pas de crises de nerfs, pas de scènes de ménage, pas de revendications insistantes.

Notez le paradoxe : la Suisse s’enorgueillit d’être le fruit de quatre cultures, mais la deuxième en importance, la francophone, ne serait qu’un fantasme. Méfions-nous de la suite du raisonnement : si la Suisse romande n’existe pas, alors il ne serait pas si épouvantable d’anéantir le financement de la SSR par la redevance. Il devient « salonfähig » de remettre en cause la clé de répartition qui avantage les régions latines (la Suisse romande fournit 23 % de recettes, et perçoit 33 % des ressources de la SSR, la Suisse italophone donne 4 % et touche 22 %. Pour la RTS, le gain représente 120 millions sur un budget total de 393,3 millions de francs). À la fin, si la RTS n’existait plus ou venait à être drastiquement amputée, ce ne serait donc pas si grave. Le fédéralisme n’est-il pas la concurrence des solutions entre cantons ? C’est oublier que le fédéralisme repose tout autant sur la solidarité entre les régions et le respect – pas seulement rhétorique – des minorités.

La radio devient un ciment entre les populations romandes qui écoutent les mêmes programmes.

Il n’est pas inutile de se souvenir que la radio romande a joué un rôle prépondérant dans l’émergence d’une conscience supra-cantonale. Dans la Suisse romande, une histoire à nulle autre pareille, l‘historien Georges Andrey narre d’une plume enjouée les débuts de la TSF : « En ce domaine comme en tant d’autres, la Romandie est pionnière en Suisse. La première station est inaugurée le 26 octobre 1922 à Lausanne. » L’installation de téléphonie sans fil est rendue nécessaire par la conférence internationale sur la Turquie. Il faut que les diplomates puissent communiquer avec leurs chancelleries. Entre deux messages, Roland Pièce, en charge du poste émetteur, diffuse de la musique. Quelques mois plus tard, en décembre 1923, sera fondée la Société romande de radiodiffusion. Les abonnés se comptent vite par dizaines de milliers. Ce succès spectaculaire suscite des vocations, les stations poussent comme des champignons, mais la rentabilité n’est pas au rendez-vous. Le Conseil fédéral met de l’ordre, il autorise un seul émetteur par région linguistique: Beromünster, Sottens et le Monte Ceneri. La radio est reconnue comme un service public à but non lucratif. Nous sommes en 1931 et la SSR (Société suisse de radiodiffusion) est créée.

Peu à peu, alors que les journaux restent orientés sur l’actualité cantonale, la radio devient un ciment entre les populations romandes qui écoutent les mêmes programmes. Dès 1954, la télévision renforce encore le sentiment d’un destin commun qui naît des émotions partagées.

Dans un essai consacré à « La question romande », François Cherix concluait en 2009 « qu’on ne naît pas Romand, mais qu’on le devient. » Cette identité d’Helvète parlant français continue à se forger tous les jours en écoutant la radio, en regardant la télévision, en consultant le site internet de la RTS (qui s’est séparée de son adjectif « romande » en 2012). Elle n’enlève rien aux autres liens d’appartenance que chaque individu peut éprouver selon ses origines ou son parcours de vie.

Ne nous y trompons pas, en s’attaquant à la seule institution nationale linguistiquement décentralisée, NoBillag, sous ses atours comptables, est bien une torpille contre les valeurs suisses les plus précieuses.