Créativité et durabilité: quelle voie suivre?

– 

Réchauffement climatique, taux de CO2, déplacements et activités fortement réduits en raison de la pandémie du Covid-19… la culture est sous pression pour faire autrement. La question suivante se pose : l’exigence écologique est-elle un risque ou une opportunité pour la créativité ?

La question est particulièrement pertinente dans les arts de la scène, à l’inverse des arts plastiques et de l’architecture où tout se conserve. En effet, quoi de plus éphémère qu’une représentation théâtrale, une performance ou un lever de rideau à l’opéra ? Il est essentiel pour des acteurs·trices culturel·le·s et les grandes institutions de développer une stratégie écologique, avec un plan d’action intégrant économies d’énergie, emploi raisonné des transports polluants, recyclage des moyens employés (par exemple aux décors et costumes). On peut citer à cet égard le projet PAROS de la Ville de Genève, qui réfléchit à mutualiser les accessoires et costumes parmi plusieurs acteurs comme Vidy, la RTS, la Comédie et nous. Le Grand Théâtre de Genève applique déjà un certain nombre de mesures et a entamé une réflexion plus large, comme un point central de sa démarche : l’identification des matières employées pour les décors, la réduction du plastique, le contrôle auprès de nos fournisseurs et le recours aux ressources énergétiques alternatives. De la même manière, la scène lyrique genevoise développe d’importants moyens pour diffuser mondialement des productions qui auraient été autrement annulées à cause de la pandémie, par exemple Pelléas et Mélisande revisité par Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet et Marina Abramović et La Clémence de Titus mise en scène par la figure suisse du théâtre européen Milo Rau.

Pour autant, il faut avoir le courage d’affirmer que la créativité, la qualité artistique, la nécessité de se réinventer impliquent des acquisitions, de nouveaux matériaux, de l’énergie, une bonne dose de risque, le tout au service du processus créatif. À plus forte raison qu’en Suisse Romande, la plupart des scènes ont une forte identité de stagione et non de répertoire. On ne peut pas jouer éternellement les mêmes œuvres, dans les mêmes décors, avec les mêmes idées, portées par d’anciens créateurs·trices, sinon l’opéra –comme les autres arts de la scène– se transformera en musée coupé du monde contemporain et de ses enjeux. Il deviendra la tour d’ivoire réservée à quelques nostalgiques, ce dont personne ne veut.

FAIRE PLUS AVEC MOINS

Il faut souligner ici une certaine hypocrisie, qui consiste à réclamer de la culture qu’elle fasse toujours plus avec moins. « Soyez créatifs, attirez un public diversifié, faites rayonner votre institution à l’international » s’entend-on dire. Dans le même temps, on exerce une pression technocratique, règlementaire, financière et maintenant écologique. C’est important : il faut exister pour et selon les règles de notre temps. Mais il faut être aussi réaliste et avoir la créativité au centre de notre attention.

À son arrivée au NTGent, Milo Rau a d’ailleurs publié son Manifeste de Gand, dont l’un des dix points demande que « Chaque production doi[ve] être montrée dans au moins dix endroits dans au moins trois pays. Aucune production ne peut être retirée du répertoire NTGent avant que ce nombre ait été atteint. » Une ambition juste et pertinente. Les institutions culturelles sont comptables de l’argent public et responsables socialement et écologiquement, mais ce qu’on leur demande et ce qu’elles veulent faire avant tout c’est imaginer, inventer et créer.