Mobilisations

Numéro 13 – Mars 2007

Les artistes ne sont plus protégés par leur mécène, ils doivent au contraire le protéger… Les adversaires des loteries suisses risquent de commettre la même erreur qu’ils avaient faite lors de l’introduction de la nouvelle loi fédérale sur les loteries (qui ouvrait mortellement l’accès à la concurrence privée). Puisqu’il est évident que la perte des 180 millions de bénéfice de la Loterie Romande ne suffirait pas à elle seule à mettre la Suisse romande au tapis, il est tentant, pour eux, d’en conclure hâtivement que la Suisse romande ne sera pas motivée à bouger pour défendre sa Loterie de service public.

Pourtant, Luzius Mader, le très déterminé vice-directeur de l’Office fédéral de la justice, le rappelait encore récemment : à sa grande surprise, jamais l’OFJ n’avait subi une telle avalanche de courriers émanant des plus incroyables organismes romands lors de la tentative de priver les cantons du contrôle qu’ils exercent sur les loteries et d’ouvrir la concurrence aux loteries privées. Pourquoi le simple déploiement d’une panoplie de guerre contre la Loterie Romande avait-il pu susciter un tel engouement ? C’est que les bénéfices de la Loterie Romande irriguent très en profondeur l’ensemble de la société – très souvent en appui ou même parfois en remplacement de l’État.

Jamais l’Office fédéral de la justice n’avait subi une telle avalanche de courriers émanant des plus incroyables organismes romands

Les sommes octroyées ne sont pas toujours élevées, mais sans elles, d’innombrables initiatives sportives, sociales et culturelles se sentent menacées dans leur existence. Ces ressources soutiennent l’engagement de dizaines de milliers de bénévoles dans le domaine social, sportif ou culturel, ou les œuvres d’artistes professionnels qui ne se mesurent pas en chiffres d’affaires, mais en chiffres de cœur. Et les spectateurs touchés sont des centaines de milliers. N’importe quel politicien de terrain saurait instinctivement se tenir à distance, et ne pas mettre le bâton dans une telle fourmilière. Mais pas les commis de la Commission fédérale des maisons de jeux…


Du goudron et des plumes pour la CFMJ !

La Commission fédérale des maisons de jeux n’est ni indépendante, ni représentative, ni contrôlable. Elle a été instaurée au terme d’un processus de tricherie avec la démocratie. Pour preuve, les bénéficiaires des loteries, comme l’association enJEUpublic, en ont été éjectés. Ils n’ont pas été considérés comme « partie » dans la procédure d’interdiction du Tactilo, contrairement aux casinos…
Cette commission fédérale s’est entichée de la devise « privatiser les bénéfices, socialiser les pertes ». Les loteries de service public adoptant, elles, la devise exactement inverse. Dans son prochain numéro, CultureEnJeu reviendra sur le fonctionnement de la CFMJ par une analyse détaillée.


Ironie du sort

Un citoyen comme un autre ou presque. Il se lève tous les matins pour aller au travail. Il fait ce qu’il doit. Prend une pause petite et s’adonne à la malbouffe adaptée à la vie trépidante qu’est la sienne. En fin de journée, il a le sentiment d’avoir beaucoup donné et peu reçu. Naturellement, il y a le chèque à la fin du mois. Mais ce qu’il met en jeu chaque jour ne lui revient que par fragments, comme le pillage d’une partie précieuse de lui-même.

Toutes les semaines, il se donne le frisson du rêve absolu. Il va au kiosque voisin, toujours le même, pour jouer, gratter. Et si le prochain millionnaire, c’était lui ? Il va vers un accomplissement possible de son ego maltraité par la vie et les autres. Lorsqu’il rêve, c’est lui le meilleur ! Soudain, il deviendrait celui qui aurait plus de moyens qu’il ne peut avoir de désirs ! Être distingué parmi des millions qui projettent la même chose que lui : être l’unique à bénéficier d’un trésor fabuleux. Mais voilà, si tous les autres n’avaient pas joué, il n’aurait aucune chance de gagner, car il n’y aurait rien à prendre. Pas de cagnotte géante sans la participation de tous.

Moralité : le rêve parfaitement individualiste – et c’est un droit – de millions de personnes crée la possibilité que l’un d’entre eux gagne. Non le meilleur, mais le plus chanceux. Que serait le gagnant si les autres n’avaient fait le même jeu ? Leçon politique paradoxale : pour que l’un gagne, il a bien fallu que d’autres aient « cotisé » sans retour. Politiquement, le besoin qu’a l’individu des autres porte un nom : la solidarité. Fût-elle inconsciente ! (fg/sd)