Le manque d’ambition du sauveteur fédéral

Numéro 67 – Septembre 2020

Conçu bien avant l’arrivée de la pandémie, le Message Culture du Conseil fédéral soumis prochainement aux chambres fédérales, bien que favorablement accueilli durant la consultation, propose-t-il des outils qui permettront à la culture suisse de sortir de son hibernation forcée ? Et du côté des médias, quelle est la capacité de réaction fédérale à la disruption en cours ?

L'introduction du « Message » le dit elle-même : la nouvelle politique culturelle fédérale sera « placée sous le signe de la continuité ». Autant dire que ces prochaines années il n’y aura que très peu d’innovations. Il est vrai que dans ce pays, à l’exception du cinéma, la culture est l’affaire des cantons et des villes. A lire le message, on réalise à quel point la Confédération joue l’humilité. Il faut dire qu’avec 250 millions par an – à peine 3 pour mille des dépenses fédérales ! – la
politique culturelle de notre État fédéral n’est même pas comparable à celle d’une entreprise comme la Migros (qui se targue de dépenser 1 % pour la culture, ses écoles comprises). Les seules innovations marquantes concernent l’instauration d’un droit de suite pour les œuvres des artistes suisses, réclamé depuis 20 ans, l’obligation pour les plateformes comme Netflix, Disney, etc. d’investir 4 % de leur chiffre d’affaires suisse dans des productions helvétiques et de diffuser 30 % d’œuvres européennes. Tout cela est utile, certes, mais – surtout ! – a le grand avantage de ne rien coûter à la Confédération.

Or le navire « culture suisse » est en plein naufrage. La Confédé­ration devrait déployer une flotille d’aides immédiates et à moyen terme aux artistes et aux producteurs privés de scènes et d’écrans – mais non, nos bateaux fédéraux sont trop fragiles pour affronter la tempête COVID-19, ils resteront au port, en cale sèche pour la petite révision parlementaire de cet automne… La culture suisse mise à l’arrêt ne redémarrera pas avant de longs mois, d’innombrables artistes et leurs compagnies, très modestement aidés par les mesures COVID ce printemps, ne s’en remettront pas, pendant que les plateformes numériques raflent la mise. Jamais le besoin d’une politique culturelle supra cantonale, à l’échelle des trois régions culturelles ne se sera fait autant sentir, que seule la Confédération peut mener. Peut-on espérer un sursaut ?

C’est peut-être le cas du côté des responsables de la politique des médias en Suisse. On ne mise pas sur la « continuité ». Les timides réformes proposées l’année passée par Mme Simonetta Sommaruga ont été mal accueillies. Il a fallu revoir le plan d’aide aux médias. En temps de pandémie, ils n’ont rien perdu de leur importance politique et sociale, et même gagné des lecteurs-spectateurs, mais assi­stent impuissants à la quasi-­disparition de leurs revenus publicitaires. Qu’ils soient publics ou privés, les responsables des médias font plus ou moins le même vœu : le modèle de financement suisse doit opérer son grand roque, et remplace les revenus publicitaires siphonnés au profit des plateformes numériques mondiales par des aides publiques. Ce n’est pas encore fait. Mais à la différence de la culture, on commence à voir se dessiner les contours d’un plan de sauvetage des médias, autour de la redevance audio­visuelle appelée à devenir médiatique et donc étendue à la presse imprimée et en ligne. 

Dans ce sens, notons un fait réjouissant. Cet automne, les organisations du journalisme et de l’audiovisuel se coalisent à l’échelle nationale, avec l’appui financier de la Fondation Aventinus, de Pro Litteris, Suissimage, etc., pour fonder l’association « Pacte de l’Enquête », évoquée à de nombreuses reprises dans Culture EnJeu, et destinée à soutenir financièrement dans une phase-test les projets d’enquêtes et de reportages de journalistes libres.