Facebook risque de mettre tout le monde d’accord, hélas !

Numéro 48 – Décembre 2015

La SSR et la presse écrite se livrent une bataille acharnée pour la conquête de la publicité. Mais l’avenir du véritable enjeu, la qualité de l’information, se joue désormais sur les réseaux sociaux.

Il pleut à verse sur Interlaken en ce 10 septembre 2015, tout un symbole. Les délégués de Schweizer Medien, l’association faîtière des éditeurs alémaniques, se réunissent sous la coupole du palace dans une atmosphère orageuse : ils sont à couteaux tirés.

Le logo par qui arrive le scandale porte les couleurs de Ringier. Le premier groupe de médias helvétique a claqué la porte de l’organisation après avoir annoncé la conclusion d’un accord de commercialisation des annonces avec l’« ennemie » SSR, l’entité de service public qui chapeaute la radio et télévision suisse. Un affront formidable pour les éditeurs de la presse écrite qui dénient à la SSR une légitimité commerciale fondée sur de la publicité. D’autant que le duo a l’impudence de s’acoquiner avec Swisscom, le géant bleu qui n’a pas entièrement coupé le cordon omibilical confédéral.

Pour la première fois, Ringier ne participe pas à un congrès des éditeurs. Son nom a non seulement été biffé de la liste des participants, il n’est jamais prononcé, même si tout le monde l’a en tête. La nouvelle du rapprochement avec la SSR est si récente que personne n’a eu le temps d’enlever Marc Walder, PDG de Ringier, du rapport de gestion de Schweizer Medien où l’intéressé signe une page sur l’avenir de la branche après l’acceptation de la loi sur la radio et la télévision par le peuple.

Rouge comme une pivoine de l’Emmental, le président de Schweizer Medien, Hans Peter Lebrument, a du mal a contenir sa colère. Qui aurait imaginé un tel scénario catastrophe il y a seulement quelques mois ? Lebrument est à ce point perturbé qu’il finira pas lâcher un os auquel nul n’osait toucher depuis des années : une entrée en matière sur le principe de la négociation d’une convention collective dont la presse alémanique se voit privée depuis 2004. Partenaires sociaux, l’organisation professionnelle des journalistes impressum et le syndicat syndicom en viendront même à le remercier à l’issue de la réunion, c’est dire si le moment est historique.

L’avenir du véritable enjeu, la qualité de l’information, se joue désormais sur les réseaux sociaux.

Leur revanche, les éditeurs de la presse écrite ont cru la tenir le 6 octobre dernier quand la SSR a lancé son pavé dans la mare : un programme de suppressions de postes, 250 au total dont la moitié en Suisse latine. Cela pour permettre d’honorer la promesse d’un plan d’économies de 40 millions de francs. L’interprétation de la mesure est à la fois économique et politique. La SSR a gardé l’essentiel, à savoir la redevance, certes, mais celle-ci se voit amputée d’une part de 5 millions, destinée aux radio-TV régionales. En plus la SSR devra prendre à sa charge la TVA. Elle doit donc tenir compte d’un manque à gagner. D’aucuns se demandent pourtant pourquoi elle n’attend pas l’élargissement de la redevance, prévu en 2018. D’où l’argument politique que sortent de leur chapeau les contempteurs de la SSR : le service audio-visuel public anticipe les charges venues de la droite du parlement qui veut sa peau. Les 40 millions ne seraient donc qu’un sucre destiné à calmer ces mêmes milieux.

Gâterie ou pas, une chose est sûre : les économies proposées par la SSR ne la mettront pas à l’abri de la tempête qui pointe à l’horizon. Les radios et télévisions privées ont le vent en poupe, elles constituent des cibles de choix pour les milieux économiques déterminés à façonner le contenu à leur convenance. Soumise à la pression, la cohésion de la troupe va s’effriter inévitablement. La qualité de l’information, enjeu principal, continuera à pâtir de cette évolution inquiétante pour la diversité du pays.

La cure infligée à la SSR ne sauvera pas la presse écrite non plus. Après le vote extrêmement serré sur le nouveau mode de perception de la redevance radio-TV, les éditeurs ont formulé le vœu d’abolir la publicité tant sur les ondes de la télévision que sur celles de la radio. Ils s’en remettent à un débat politique sur la redéfinition du service public. Mais même s’ils parvenaient à leurs fins, la publicité perdue par la SSR ne reviendrait pas automatiquement à leurs titres. Les calculs du certificateur Remp n’aboutissent pas pour rien à une baisse quasi-générale des tirages des journaux, gratuits compris. Bref le modèle économique basé sur la publicité déserte les médias traditionnels pour migrer sur fFacebook. C’est donc sur des réseaux sociaux aux règles floues et débridées que se livrera la grande bataille de demain pour le contrôle de l’information. chc