1 La Suisse romande n’est pas une province (à la française), une région (à la belge), un Etat (à l’allemande), un canton (à la suisse). La Suisse romande n’est née d’aucune loi. Elle tient sa radio-télévision d’une loi (LRTV) nationale et son seul quotidien (Le Temps) d’un éditeur germanoalémanique. Seule peut-être la Loterie, issue d’un accord entre cantons romands, est née romande, même si depuis lors, il a fallu la placer sous la protection d’une loi fédérale et de la Constitution. La Suisse romande n’existe pas. 

2 Et pourtant, vu de Zurich, Coire, Lugano, il existe un Welschland. Et même vue de Paris, existe - parfois - une Suisse francophone. Il n’y a finalement que pour les Romands que la Suisse romande n’existe pas. Ces mêmes Romands qui poussent des hauts cris chaque fois que se fait sentir, dans le sport, l’économie, la politique ou la culture, le besoin d’affirmer l’originalité d’une démarche qui n’est ni française, ni simplement « suisse». 

3 L’ombre du clocher plane sur l’Esprit romand. La culture comme l’école et la police est affaire cantonale, et même plus encore, communale. Les cantons apprécient tellement les prérogatives que leur accorde le fédéralisme qu’ils craignent comme la peste un supracantonalisme, ou tout simplement un régionalisme romand qui viendrait faire bloc, - à la catalane -, donc se montrer potentiellement hostile à l’« idée suisse», et risquerait d’envenimer les rapports avec la majorité alémanique.4 

4 Sous ce clocher, on trait en paix. Mais voilà que surgit la fanfare des chercheurs, des entrepreneurs, des artistes. Tintamarre ! Ils veulent « exister » chez leurs grands voisins, à l’échelle continentale, mondiale ! Ils veulent placer leurs inventions, leurs livres ou leurs films sur un marché mondialisé ! Et là où il faudrait une rampe de missiles, la commune - (même Genève), le canton - (même Genève), ne leur offrent qu’une échelle de verger, en guise de citerne financière, qu’un arrosoir. Dès lors, les artistes se surprennent à souhaiter que les moyens publics et les critères d’aide soient coordonnés avec le reste de la Suisse, mais surtout ajoutés à ceux des cantons qui ont les mêmes obstacles à franchir: les cantons « romands ». La Suisse romande renaît de leurs ambitions communes (Christine Salvadé, p5). 

5 Il y a donc une Suisse romande de la recherche et de la culture qui n’ose dire son nom. Sommée de prouver que l’étage supracantonal ne produit que des œuvres de superqualité qui n’auraient pas vu le jour à un étage cantonal (Christophe Gallaz, p.7.) Elle reste non moins suspectée de favoriser des constructions artificielles, hors-sol, tellement calibrées sur les échanges internationaux qu’elles en négligent les artistes locaux (Joël Aguet, p.14). Elle demeure néanmoins appréciée pour la circulation sanguine qu’elle facilite à l’intérieur du territoire romand (Corinne Jaquiéry en entretien avec Thierry Luisier, p. 8), et adulée par les cinéastes qui ressentent ce territoire comme leur plus petit dénominateur commun, en-dessous duquel le cinéma suisse francophone n’existerait tout simplement pas (Gérard Ruey en entretien avec Frédéric Gonseth, p.12). 

6 La Suisse romande peut être sans exister. La preuve par les arts visuels : les manifestations à l’échelle romande se multiplient et oublient de donner aux artistes leurs moyens d’existence (Alexandre Lanz, p.10). La preuve par les médias : depuis la disparition de L’Hebdo en janvier 2017 la place de la culture dans les médias n’a cessé de se restreindre, et si notre journal consacré aux relations de la culture avec ceux qui la font et ceux qui en bénéficient survit aussi bien après quinze ans d’existence, il ne peut néanmoins suffire à combler un vide qui se creuse de plus en plus (Chantal Tauxe, p.20).