Le Courrier, un journal engagé…
Dominique Hartmann, corédactrice en chef du quotidien genevois indépendant de 2013 à 2016, explique comment son journal résiste aux crises que traverse la presse.
Le mois où je suis arrivée au Courrier, il y a dix ans, le journal a souffert d’un défaut de liquidités qui aurait pu précipiter sa chute. Sollicités, les lecteurs ont largement répondu présents. C’est grâce à eux si nous sommes encore là aujourd’hui, car ils nous soutiennent toujours infatigablement ! » Corédactrice en chef du Courrier jusqu’à fin décembre dernier, Dominique Hartmann a rejoint le journal comme journaliste culturelle. « C’est d’abord la qualité de sa rubrique culture – rigueur et sens – qui m’avait attirée. Et bien sûr aussi ses valeurs qui sont notamment l’humanisme et le respect de la dignité humaine. Au Courrier, les journalistes ont envie d’exercer leur métier de manière critique. Dans la mesure de leurs moyens : nous aimerions en faire plus, mais nous restons une petite équipe. »
Depuis sa création, il y a près de 150 ans (1868), le quotidien a souvent été dans la tourmente que cela soit pour des raisons politiques ou économiques. « Il a beaucoup bougé sur l’échiquier politique, de la droite à la gauche en passant par le centre. » Peu à peu considéré trop à gauche par son principal subventionneur historique, l’Église catholique romaine, il en est devenu totalement indépendant en 1996. Déjà à ce moment-là, les lecteurs ont été sollicités pour alimenter le budget de fonctionnement. « Il y a une forte adhésion de notre lectorat à nos valeurs. Ils reconnaissent notre volonté de donner la parole à la société civile ou à des groupes de population qui ne l’ont pas dans d’autres médias », relève l’ex-corédactrice en chef.
« Avec des abonnements représentant environ 80 % de ses apports financiers, Le Courrier fonctionne sur un modèle unique en Suisse romande fondé sur l’engagement de ses lecteurs, qui ont le choix entre quatre types d’abonnement, selon leurs moyens, et financent de surcroît la structure par des dons. La souscription équivaut à quelque 8 % de l’ensemble des charges. Ces dernières années, elle a souvent comblé le déficit de fonctionnement du journal. Certains lecteurs alimentent aussi le fonds d’enquête Architrave. Les journalistes font leur part », souligne Dominique Hartmann. « Ils acceptent d’être payés en-dessous des tarifs de la convention collective suisse romande qui entretemps a été révisée à la baisse. Nous ne sommes pas les seuls à accepter des sacrifices au nom de certaines valeurs : la Woz - Die Wochenzeitung - notre équivalent en Suisse alémanique, est un hebdomadaire qui fonctionne un peu sur le même modèle, mais il va encore plus loin car tous les collaborateurs sont payés au même tarif. De l’administration aux journalistes en passant par les graphistes. »
Parmi les solutions d’aide à la presse volontiers évoquées actuellement, il y a le soutien financier aux enquêtes. Dominique Hartmann ne cache pas ses réserves : « Les grands groupes de presse ont largement les moyens de payer les enquêtes de leurs titres, l’aide publique ne doit pas servir à augmenter les dividendes des actionnaires. »
Le Courrier fonctionne sur un modèle unique en Suisse romande fondé sur l’engagement de ses lecteurs
Selon elle, la structure très participative du Courrier explique aussi l’attachement des journalistes à «l eur » titre. Ainsi des décisions comme l’élection d’une rédaction en chef – devenue tricéphale en 2010, puis bicéphale en 2017 – s’appuient toujours sur l’avis de l’équipe. De plus, nombre de décisions stratégiques ou rédactionnelles sont prises par l’ensemble des collaborateurs qui se réunissent régulièrement. L’administration, comme l’équipe rédactionnelle, est représentée au comité de la Nouvelle association du Courrier, la NAC, soit l’organe éditeur du journal. Celle-ci est constituée d’associations issues de la société civile.
« Paradoxalement, nous résistons mieux que d’autres médias romands à la perte de la manne publicitaire : celle-ci n’a jamais représenté davantage que 17 % de notre budget d’environ 3,8 millions. Nous sommes comme les autres titres soumis à un recul des abonnements, mais notre ligne éditoriale contribue à fidéliser notre lectorat : outre des valeurs humanistes, notre journal propose des articles de fond, des rendez-vous thématiques, des analyses critiques, des hors-série. En échange, nos lecteurs acceptent de ne pas avoir une couverture aussi exhaustive que dans d’autres journaux généralistes. Nous avons choisi de rester fidèles à cette ligne pour notre site internet et mobile. »
Quotidien d’information et d’opinion, humaniste et progressiste, Le Courrier se définit comme engagé sans être partisan. Indépendant, il dit s’efforcer à un journalisme sans concession ni compromis, souhaitant livrer à ses lecteurs des faits, des explications et parfois des possibilités d’action. Aujourd’hui son défi consiste en l’élargissement de son lectorat, notamment par le biais des jeunes. « En 2016, nous avons lancé l’opération transmission qui marche très fort. Par cette nouvelle campagne, une première du genre, nos lectrices et lecteurs offrent anonymement un abonnement à un jeune qui a affirmé son intérêt par le biais des réseaux sociaux, explique Dominique Hartmann. Je crois en l’avenir du Courrier car il répond à une demande d’élucidation de sens. »
Voir aussi : www.lecourrier.ch