Du courage en journalisme

Numéro 55 – Août 2018

On ne peut pas demander à tout le monde d’avoir l’étoffe d’un héros, mais…

C’est la nouvelle tendance en France. Parodiant le roi Soleil, Jean-Yves le Drian remballe les médias, les moins dociles d’entre eux, en tout cas. Les journaux russes, par exemple, sont très mal vus du ministre des Affaires étrangères. Des titres français sont également concernés par l’opprobre.

La dérive autoritaire face aux médias est mondiale et insidieuse dans la mesure où, succédant aux années glorieuses d’ouverture au nom de la démocratie, elle piège en quelque sorte les journalistes. Les vexations peuvent prendre différentes formes. À la disgrâce et aux licenciements en France, correspond l’arbitraire et la répression en Turquie où 140 médias ont été fermés au cours des deux dernières années et où 100 professionnels de l’information ont été incarcérés dans l’attente d’un procès inique.

Alors que la liberté de la presse recule un peu partout dans le monde, il est remarquable d’observer que des journalistes prennent le risque de pratiquer leur métier au plus près de leur conscience. Ce faisant, beaucoup assument l’idée qu’ils peuvent le payer très cher. Au Mexique, plus de 100 journalistes ont péri sous les balles des cartels de la drogue depuis l’an 2000. « Nous sommes devenus des correspondants de guerre » confiait récemment au journal en ligne suisse PJI le reporter mexicain José Gil Olmos.

Continuer à travailler sous la menace létale relèverait d’une gageure macabre et finalement vaine s’il n’y avait cette sacrée responsabilité sociale du journaliste. Soulignée en son préambule par la charte fondamentale : « Du droit du public à connaître les faits et les opinions découle l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes ». Les reporters de guerre en savent quelque chose qui bravent le danger quotidiennement, comme en témoignent les morts récentes de journalistes français à Mossoul. Un certain romantisme peut en découler mais jamais le plaisir. « Il l’avait cherché… » Le commentaire est navrant mais il a été entendu à plus d’une reprise dans une rédaction après le décès en zone belliqueuse d’une consoeur ou d’un confère.

Faut-il s’en émouvoir ? On ne peut pas demander à tout le monde d’avoir l’étoffe d’un héros. Un haussement d’épaules désolé suivra plutôt une remarque comme celle de ce directeur d’un quotidien défunt. S’exprimant à propos de l’activité de ses collaborateurs, il la décrivait comme du « journalisme de salon ». Il parlait probablement pour lui-même. S’il avait été un journaliste de terrain, cet intellectuel distingué aurait su à quoi il s’expose en suivant une manif à Paris : « coups de matraques, violences délibérées, tirs tendus de flashballs, grenades de désencerclement, insultes, menaces… ». La dénonciation émane de Reporters sans frontières, qui ajoute : « Couvrir un événement public est aujourd’hui devenu une activité à hauts risques pour les reporters et les photographes. »

« Le courage n’existe pas, on s’éduque au courage ». Les mots du président de la région de Sicile, interrogé par « La Méduse », font allusion aux magistrats qui combattent la mafia. Ils pourraient s’appliquer également à un journaliste d’investigation s’attaquant à un dossier délicat mettant en cause des personnalités plus ou moins connues. Ou bien à un éditorialiste qui n’a pas la plume dans sa poche. Les deux s’exposent à des représailles de nature différente. « Vous aurez tous les médias et les avocats de Suisse au cul », m’avait lancé un galeriste indélicat après la parution d’un article le mettant en cause dans une affaire de faux tableaux. Les tribunaux ont classé le cas mais ce résultat n’était pas acquis d’emblée. Les rapports de force étant ce qu’ils sont, le journaliste ne s’en sort pas toujours avec les honneurs de la guerre. Sans compter qu’il doit affronter parfois aussi le courroux d’un rédacteur en chef peu… courageux, voire l’incompréhension de collègues jaloux.

En journalisme, le courage se manifestet- il différemment que dans la création artistique ou la politique ? Pas forcément. L’exigence du recours au courage peut en revanche s’avérer plus insistante.

Christian Campiche est auteur de « La presse romande assassinée », Eclectica 2017.