Dans une étude (Swisslife, été 2018), les Romands s’avèrent bien plus pessimistes sur leur avenir financier que les citoyens des autres régions. C’est étrange, alors que l’économie romande se porte bien. Les Romands perçoivent-ils à quel point leur destin économique leur échappe ? En particulier dans le domaine des médias ? Car, un an et demi après la disparition de L’Hebdo, celle du Matin comme quotidienpapier en semaine confirme une réalité qui laisse le Romand parfaitement impuissant : le monde des médias, en-dehors de la SSR sauvée de manière éclatante (mais pour combien de temps ?) est en mains lointaines, et surtout, braquées sur les chiffres. Or le petit marché romand n’est pas autoporteur, ni dans l’audiovisuel, ni dans la presse imprimée. Ses médias doivent être voulus et portés par la collectivité, sans quoi ils disparaissent inéluctablement, entraînant inévitablement le déclin de la démocratie.

Doris Leuthard est sans doute la plus médaillée de nos conseillères fédérales, voire de nos conseillers fédéraux tout court. Avec l’aide des milieux culturels et sportifs, elle a poussé dans ses derniers retranchements le 4 mars dernier l’alliance des néolibéraux, des blochériens et des éditeurs privés qui voulait abolir le service public audiovisuel.

Mais c’était une lutte défensive, pour le statu quo. Mme Leuthard ne pourra toutefois pas s’en aller avec la satisfaction d’avoir donné aux médias suisses les outils nécessaires à leur mutation numérique. Celle-ci risque fort de se faire comme dans les pays nordiques, à grands coups de balai : les GAFA, les Netflix emportent tout sur leur passage.

Face à ce danger bien réel, la loi de Mme Leuthard sur les médias électroniques n’est pas sans qualités, mais elle est castrée. Le think tank Media Forti souligne des nouveautés intéressantes, notamment, comme il l’a proposé, un soutien fédéral à une plateforme de publication numérique - un objectif que partage Fijou en espérant pouvoir mettre une telle plateforme au service de tous les journaux en Suisse romande, sans attendre le soutien fédéral !

Mais Manuel Puppis, de Media Forti, souligne aussi que le projet de loi n’est qu’une demi-étape vers l’avenir numérique des médias, car seules les contributions audio et vidéo des médias seraient soutenues. Comme si l’écrit allait être banni de l’avenir numérique. Une absurdité qui risque de coûter à la loi un référendum fatal.

La loi bride également le développement du service public sur internet : privé de publicité et de textes, on ne voit pas très bien comment l’albatros SSR pourra résister au griffon digitalisé des GAFA-Netflix si on ne lui laisse qu’une seule aile pour voler !

La loi ne propose rien non plus comme aide indirecte aux journaux imprimés. C’est particulièrement irresponsable au moment où les grands éditeurs comme Tamedia et Ringier Axel Springer procèdent à la casse en règle de tout ce qui ne leur garantit pas des profits à deux chiffres. En Suisse romande il faudra bientôt se contenter de 20 Minutes, du Matin dimanche et de L’Illustré.

La loi médias se révélant muette pour ce secteur également, les grands éditeurs privés ne renoncent plus à l’aide indirecte. Ils demandent une augmentation de l’aide postale. Mais surtout, ils ont compris que la bataille la plus proche et la plus réaliste ne se mènera pas autour de la loi sur les médias (combien d’années avant d’entrer en vigueur ?), mais autour du produit de la redevance qui vient juste d’être plébiscitée par le peuple.

SchweizerMedien, l’organe faîtier des éditeurs privés, a bien compris que celle-ci rapportera dès l’année prochaine plus que ce qui est (malheureusement) plafonné pour la SSR (1,2 milliards) et que les quelques 80 millions réservés aux radio-TV régionales. Le solde pourrait être substantiel, de quelques dizaines à quelques centaines de millions. La foire d’empoigne est ouverte !

Médias Pour Tous, Media Forti, CultureEnJeu proposent une procédure pour éviter que cela finisse en pugilat. Mais pour cela il faut se mettre d’accord sur un modèle de soutien - comme celui de Fijou - à la presse privée, au journalisme et à une plateforme numérique publique. Et cet accord passe peut-être par une initiative populaire fédérale, pour faire entrer la presse dans l’Article 93 de la Constitution.

Une première séance de coordination aura lieu le 12 septembre à Berne. Bonne nouvelle : même Andreas Häuptli, le responsable de SchweizerMedien, estime qu’une guerre fratricide peut être évitée : « Nous ne voulons retirer aucun financement à personne, ni à la SSR ni aux radio-tv privées », déclare-t-il. Une grève chez Tamedia et déjà un ton nouveau...