Vers une aide publique aux médias privés

Numéro 52 – Décembre 2016

Depuis qu’en juin 2015, la SSR est passée à 4’000 voix de la catastrophe, les positions ont bougé. Le directeur de la SSR Roger de Weck a fait bénéficier toute la Suisse alémanique de son argumentaire efficace (il ne faut pas être de gauche pour défendre la SSR, c’est une tâche « patriotique »). Sa ministre de tutelle Doris Leuthard (PDC) s’affirme comme un véritable leader politique. Tous deux montrent que les éditeurs privés ignorent délibérément les fondamentaux du paysage helvétique, à commencer par la concurrence acharnée avec les chaînes étrangères qui occupent les deux tiers du paysage télévisuel suisse.

Du côté des éditeurs privés, toutefois, les fronts bougent, et la SSR ne se retrouve plus aussi isolée qu’en 2015. Pour l’instant, avec les licenciements à 24Heures et à la Tribune de Genève, les médias imprimés sont les grands perdants de l’évolution, et la Suisse romande connaît à son tour le démantèlement déjà subi par des titres comme le Tagi à Zurich et qui fait qu’aujourd’hui une partie de ses journalistes ne voit plus d’avenir que de se lancer dans un journal en ligne. On peut les comprendre, mais la presse imprimée n’a pas à tirer sa révérence, elle peut survivre à condition qu’une réforme s’opère dans son financement et la manière dont elle est dirigée.

A ce propos, la fracture entre Ringier et les autres éditeurs privés s’accentue. Son CEO Marc Walder ne soutient pas seulement Admeira, le groupe publicitaire commun à SSR-Swisscom-Ringier, mais affirme la nécessité d’une entente des éditeurs privés avec la SSR pour la défense du paysage médiatique suisse menacé par les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple). Cela place Tamédia, NZZ et AZ Medien un peu plus sur la défensive. Ils abandonnent leurs velléités d’obtenir un démantèlement complet de la SSR, style « NoBillag », une solution qui ne se trouve même plus vraiment défendue sur le plan politique par les ténors de l’UDC comme Roger Koppel. Officiellement, plus personne ne dit ouvertement qu’il faut supprimer la SSR. « Je ne veux pas supprimer la SSR, elle remplit une fonction importante », déclare Peter Wanner, CEO de AZ Medien. Les adversaires politiques de la SSR vont d’autant plus efficacement se regrouper sur un contre-projet dont nous savons qu’en démantelant partiellement la SSR il ne la fera pas moins mourir, mais plus lentement. Peter Wanner : « Le plus important, c’est une information équilibrée et précise. Ajoutons-y la culture et les émissions éducatives, qui peinent à trouver un marché pour se financer. Le divertissement et le sport par contre ne font pas partie du service public ».

Parmi les éditeurs privés acharnés contre la SSR, Peter Wanner est d’ailleurs le seul à accorder une certaine place dans ses raisonnements à la menace de la concurrence internationale, et d’ailleurs il est le seul à envisager une aide à la presse par le biais d’une fondation d’utilité publique : « On devrait aussi par exemple se demander si une fondation alimentée par l’État ne devrait pas soutenir des contenus ou des programmes des médias privés. En dernier ressort. » Le seul ? Pas tout à fait, car Pietro Supino, le CEO de Tamedia lui emboîte le pas : « Personnellement, je propose que la SSR devienne un prestataire open source. Cela signifie que les programmes qu’elle produit elle-même seraient non seulement mis à la disposition de tous nos concitoyens, mais également accessibles aux entreprises de médias nouvelles ou déjà établies à des fins de rediffusion. Les programmes financés par la redevance atteindraient ainsi un public plus important et bénéficieraient d’une résonance accrue. » (LeMatinDimanche 25.9.2016). Cette proposition montre que le prétendu refus absolu de toute subvention n’est pas du tout aussi absolu que cela, et que c’est la question du contrôle sur les médias et des profits qu’ils réalisent qui est au cœur du débat, et non leur rentabilité, car la proposition « open source » de Pietro Supino constitue un aveu que nous attendions depuis longtemps : il n’y a globalement plus de rentabilité à espérer dans le secteur des médias journalistiques en Suisse, et il faudra tôt ou tard, comme pour la télévision, en passer par une solution de financement public.