Producteurs télévisuels : la fin de l’indépendance?
Les créateurs ne voient pas la couleur du franc payé quotidiennement par le public pour voir les séries de fiction suisses. Scandale!
Dans le domaine de l’image et des sons produits localement, un grand succès public ne conduit pas forcément à la survie, sans parler du succès économique. On sait que la trop petite taille du marché audiovisuel suisse ou, pis encore, romand, n’arrange rien. Le paradoxe veut que si, d’un côté, le cinéma destiné aux salles peut vendre des billets et, avec environ 5% du marché, rapporter chaque année quelques millions (moins de 5) aux producteurs et créateurs, il en va différemment des séries de fiction destinées à la télévision et aux plateformes d’abonnement. Ces dernières ne peuvent compter que sur des ventes aux chaînes et plateformes internationales, ce qui reste exceptionnel, supposant un thème adéquat et une qualité calquée sur des standards inter- nationaux.
Par conséquent, la production de séries de fiction suisses dépend presque exclusive- ment de la SSR, actuellement unique diffuseur tenu par la loi de produire du contenu de fiction suisse. La SSR conçoit d’ailleurs les séries de fiction locales comme un atout majeur, fidélisant son rapport avec le public suisse payeur de la redevance audiovisuelle, cette sorte d’«abonnement citoyen».
La stratégie du directeur général Gilles Marchand est couronnée de succès: des séries comme Quartier des banques et Helvetica ont trouvé un public populaire. Ainsi la SSR veut plus de séries de fiction. Gilles Marchand annonçait récemment, lors des 55e Journées de Soleure, 15 millions supplémentaires consacrés à ces séries, en dépit du rétrécissement des ressources publicitaires de la télévision suisse. Un effort méritoire qui met pourtant les producteurs privés de ces séries dans une situation pour le moins scabreuse. Pas assez riches pour avancer l’argent sur d’hypothétiques futures recettes de ventes internationales, ils doivent faire appel aux fonds d’aide publique régionaux, comme Cinéforom en Suisse romande, qui peinent déjà à soutenir symboliquement une série par année par manque de moyens.
On tourne, oui, mais en rond!
Les producteurs indépendants n’ont pas de choix. À la différence du cinéma, jouant lamentablement sur les mots, la Confédération a exclu il y a plusieurs années de soutenir la fiction destinée à la télévision. Ne subsiste alors qu’une petite aide pour les documentaires de télévision. Les producteurs suisses de fiction TV ne peuvent donc pas « suivre » la SSR, ou alors ils doivent se contenter de budgets de précarité menaçant la qualité et donc le rapport au public. Sans moyens propres ou aides extérieures à la SSR, ils sont condamnés à devenir de simples exécutants au service de la SSR. La créativité qui a assuré le succès de ces séries – coachées par la SSR mais réalisées par des indépendants – serait étouffée, et la situation parfaitement désespérée si l’on ne pouvait pas croire à un coup de théâtre qui permettrait, grâce à une baguette magique, de trouver le financement de la production audiovisuelle indépendante locale.
Un coup de théâtre... annoncé
Ce coup de théâtre, c’est la manne de la redevance audiovisuelle perçue pour la première fois selon un nouveau système par l’entreprise Serafe en lieu et place de Billag. Dans quelques semaines, nous saurons quel sera le montant récolté en 2019; un excédent de plus de 100 millions est attendu. Cet excédent devrait permettre de compenser les 50 millions de recettes publicitaires perdues par la SSR depuis deux ans, ainsi que les millions perdus par les radios et TV régionales. Le solde pourrait parfaitement servir à financer la production audiovisuelle indépendante.
La branche dispose déjà d’un modeste fonds d’aide géré par les sociétés d’auteurs, le Fonds de production télévisuelle, qui soutient symboliquement les indépendants produisant du contenu destiné à la télévision et aux plateformes. Les producteurs de séries de fiction et de documentaires télévisuels doivent avoir droit, eux aussi, à une aide au niveau fédéral, et donc une part de la redevance que la collectivité paie déjà pour voir leurs œuvres. C’est une question d’équité. Une simple décision gouvernementale à confirmer ensuite par le parlement.