Je ne sais pas pourquoi on ne chante que le ranz des vaches à la fête des vignerons…
Artiste peintre et chanteur dit à texte – certains ajouteront militant ou engagé – Jean-Pierre Huser est sans doute l’un des artistes suisses qui connaît le mieux la musique dans le milieu international de… la musique. Sur la scène parisienne, l’auteur de La Rivière, hymne mythique des années soixante, fut notamment le complice de Nougaro, Gainsbourg ou Serge Lama – il gagna avec ce dernier les relais de la chanson française.
Poésie et musique vont-elles encore de pair aujourd’hui ?
Jean-Pierre Huser : Brel m’a dit un jour, alors que je faisais une première partie avant son tour de chant, « Je n’écris pas des poèmes mais des chansons ! Or donc je ne peux pas me permettre de dire que je suis un poète ». Mais comme je fais de la peinture, j’ai le droit de faire aussi des poèmes. Je le dis en toutes modestie, rassurez-vous ! Il faut comprendre qu’à travers la musique, des accords et surtout du rythme, chose que j’ai beaucoup pratiquée, un texte peut avoir une sonorité ou un sens très nouveaux. Saviez-vous que Louis XIV flinguait les troubadours, il voulait une culture monarchiste… Au passage, je trouve sincèrement que la chanson française est l’une des tâches artistiques les plus évidentes pour ladite poésie face aux publics de tous bords.
Peut-on faire des chansons de la même manière qu’autrefois ?
Aujourd’hui une chanson ne dure pas cinq ans, comme à l’époque, mais cinq semaines. Cela change la donne et l’artiste est aussi là pour s’adapter avec son art et sa sensibilité. Même si les signes raccourcissent, la profondeur du message peut rester.
Ce que je reproche à un certain type de chanson, c’est qu’elle vient d’un monde exclusivement théâtral, même si je n’ai rien contre le théâtre, je vous rassure. Mais je viens de la peinture, et il existe un fort racisme en France et dans les pays francophones envers cette filière. Le monde dit culturel est rempli, me semble-t-il, de pseudo-intellos. J’ai toujours cherché à rester simple, très simple, et je n’ai jamais prétendu avoir quelque chose à dire. Aux Relais de la chanson française, j’ai été finaliste, je n’ai jamais pensé que j’allais gagner. Je trouve que la chanson française est restée assez petite. Elle manque de force, les gens se prennent au sérieux à pleurer. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Alors que pour moi, cheminer aux côtés de Claude Nougaro dans les rues de Paris à cinq heures du matin était aussi naturel que d’aller skier dans mes montagnes, cela n’avait rien d’exceptionnel. Claude était un gars d’une simplicité incroyable.
Aujourd’hui une chanson ne dure plus cinq ans, mais cinq semaines. Même si les signes raccourcissent, la profondeur du message peut rester.
Quelle est la situation en Suisse ?
Il y a des artistes merveilleux en Suisse comme partout ailleurs – peut-être même davantage qu’ailleurs – mais j’ignore pourquoi l’environnement y est tellement conditionné par Paris, New York ou d’autres lieux. Ceux qui percent ne sont pas de première fabrication helvétique. Je dirais en fait que les Suisses sont un peu des copistes, et je dirais même plus, des copistes de génie parfois ! Mais avec toujours la même formule, appliquée à tout jamais : ne pas prendre de risques ! L’artiste calcule peut être trop pour sortir quelque chose d’original. Les rares contacts que j’entretiens avec la production ici montrent un manque de courage par rapport à la nouveauté. Au Québec, on chante comme au Québec. En Suisse, il existe une espèce de puritanisme qui me gêne. Quelque chose vous écrase dans votre enveloppe populaire. C’est comme si l’on ne pouvait pas s’exprimer librement, pourtant on pourrait le faire devant des gens, des enfants où des vieux qui sont aussi curieux et généreux qu’ailleurs. Je pense que la question réelle à se poser, c’est de savoir comment un pays perçoit et se nourrit d’une culture artistique.
Les radios continuent-t-elles à remplir leur rôle ?
Les médias sont toujours importants, bien sûr, mais le problème est que les artistes n’ont plus de rapport direct avec les maisons de disques comme à l’époque. Nous sommes dans une crise terrible, il faut du hasard, de la chance pour arriver la tête haute dans ces zones opulentes. Il faut savoir aussi que ce sont désormais les grandes surfaces qui font la loi. Sinon l’argent se fait dans les tournées. Une façon directe de se faire connaître est Youtube, comme je l’ai fait avec la chanson que j’ai composée pour soutenir la condamnée à mort américaine Debra Milke. Jean-Louis Foulquier, paix à son âme, qui fut pour moi et beaucoup de chanteurs un immense ami, disait : « Une chanson populaire est une chanson populaire ». Il y a eu des blocages, des préjugés catastrophiques, les Français bien pensants sont un peu des fabricants de culture, ils mettent en place des artistes en obéissant à la Sainte loi du marché. Quand je suis arrivé chez Barclay, ce dernier m’a dit qu’il allait faire de moi le Leonard Cohen français. Après j’ai compris que je rentrais dans une sorte de système. La chanson française continue dans un pseudo-intellectualisme appliqué devenant même esthétique, à la longue ! Qui se voudrait original mais manque totalement de pêche, la vraie, celle qui swingue. Je ne suis pas catastrophé car la médiocrité a toujours existé, seulement elle revêt une autre forme à présent. On le voit avec les artistes que l’on veut mettre en vogue, notamment la femme d’un certain président…
Je ne comprends pas pourquoi ce sont les médias qui doivent décider de la place où l’artiste doit se situer.
Le cadre institutionnel est-il satisfaisant ? Quid de Pro Helvetia, la Suisa, etc. ?
Ces gens ne m’ont jamais aidé. C’est comme en peinture : j’avais gagné la biennale des anciens élève des beaux-arts de Lausanne. La BCV devait par ce fait m’acheter des toiles pendant 10 ans. J’attends toujours. Je dirais, rassurez-vous encore, sans aucune haine et avec beaucoup de joie, que travailler pour gagner est une chose, mais travailler pour créer en est une autre. Il y a aussi des gens d’une honnêteté extraordinaire en Suisse et cela me fait plaisir de le rajouter.
Nul n’est prophète dans son pays…
Je viens du Pays-d’Enhaut, j’ai essayé d’apporter l’émotion dans l’esprit des chansons et je pense y être parvenu. Ces chansons passent dans 60 radios aux États-Unis. Brian Thompson, professeur de langue française à Boston – il a créé La clef des chants – est venu me chercher, à l’époque à Paris. Il est convaincu que j’ai apporté à ce pays quelque chose qui manquait. Ce n’est pas un plan de ma part. Depuis tout petit j’ai adoré ce pays, mais je l’ai aimé par la suite aussi, à l’envers. Économiquement tout marche bien, mais il y a un brouhaha de choses, d’interdits, de blocages, je ne sais pas. À la base, j’ai l’impression que du fait de cette sorte d’atomisation culturelle, les artistes suisses ne s’aiment pas du tout. J’admire la musicalité de tel ou tel chanteur mais je ne comprends pas pourquoi ce sont les médias qui doivent décider de la place où l’artiste doit se situer. Je ne sais pas pourquoi on chante seulement le Ranz des Vaches à la Fête des Vignerons. Pourquoi ne demande-t-on pas à des artistes romands de le faire ? Daniele Finzi Pasca, le grand metteur en scène heureusement choisi pour la prochaine Fête des Vignerons, pour moi « Enfant de Fellini » au grand talent, a commencé comme clown dans les cirques. J’espère que cette fois il saura demander à quelqu’un de faire une chanson. Je parle d’une vraie chanson, comme La Mer de Trenet, ou La Rivière d’Huser – excusez-moi, mais pourquoi pas ? Des chansons que tout le monde chante. Pourquoi en Suisse on ne pourrait pas faire une vraie fête populaire ? La Suisse n’est pas une monarchie mais c’est comme si les vignerons jouaient aux monarques alors que se sont de très braves gens qui vivent complètement avec la nature. Quand Gilles a écrit les Trois Cloches, il a réalisé un énorme titre. Pourquoi empêche-t-on les jeunes de faire la même chose ? Il faut savoir travailler dans la chanson comme dans les banques, et pas par-dessus la jambe, ou comme les peintres à touristes de Montmartre. Pour finir vous me permettrez de dire, en souriant bien sûr, que si l’on ne prend pas mes chansons sur le vin pour la prochaine fête des vignerons, je sortirai un concept qui risque de s’appeler « La défête des Vignerons », ce sera très rigolo.
L’artiste a-t-il une responsabilité ?
Je pense être un artiste populaire. Sans utiliser ce populaire jusqu’au populisme. Presque toute la presse rock est basée sur des faits assez étranges. Je sais par expérience, et pour les avoir bien connus à l’époque, que les grands groupes de rock ne se droguent pas plus qu’un banquier qui prend sa coke ou son whisky pour tenir le coup quand il n’y a plus de fric dans le frigidaire. Cela ferait longtemps que tous ces artistes ne seraient plus de ce monde ! En fait le système de la contre-culture mis en place depuis 50 ans déjà veut que l’on arrive avec des pieds sales, mais ce n’est pas parce que l’on arrive avec des pieds propres que l’on est moins bon. À l’envers de ce que la majorité pense, à l’encontre du système médiatique et du marketing, je plaide surtout pour que l’artiste reste libre et pieds nus, s’il le faut, comme le furent Tinguely, Picasso, Dylan et d’autres.