Les femmes (se) dessinent

Numéro 59 – Septembre 2018

Rencontre avec Bénédicte, qui s’illustre dans « 24 heures » chaque mardi, mercredi et vendredi.

L’humour noir se combine chez vous à la candeur du regard et du style…

J’ai toujours eu ce trait rond et j’essaie de rendre mes personnages touchants, même ceux que je juge « cons », ce sont des êtres humains et ils ont quelque chose d’attendrissant. Je n’aime pas dessiner l’horreur, les catastrophes, les cadavres. L’enfant mort sur la plage, je l’ai évoqué avec une petite main sortant de l’eau, entraperçue à travers le château de sable des jeunes insouciants de l’Occident. L’humour noir c’est d’abord Franquin et ses chefs d’oeuvres. L’humour représente l’une de nos meilleures défenses dans l’adversité et l’humour noir est la dernière parade face à la mort.

Dessinez-vous différemment pour 24 heures et Vigousse ?

Je suis plus spontanée pour les lecteurs de Vigousse et j’aimerais aller davantage vers le « crétin » qui fait du bien. Comme il y a là plein d’autres dessins, je peux choisir des sujets moins évidents. Je me sens plus liée à l’actualité pressante dans 24 heures et je dois remplir un gros espace, il faut fignoler davantage, ceci le jour même, dans un délai très court qui était nouveau pour moi. Un vrai challenge la première année. Maintenant je sais que je vais trouver une idée. Mais reste une question : sera-t-elle bonne ?

Avez-vous une personne à qui soumettre vos idées à un stade initial ?

Mon mari ! Parfois je note juste l’idée sur un papier et la lui envoie. Surtout dans les moments où je suis moins inspirée, sa réaction me permet de rebondir. Nous avons des références communes qui simplifient le dialogue mais nous ne sommes pas d’accord sur tout. Il m’arrive aussi de soumettre un croquis à ma fille de 18 ans qui n’est pas branchée sur l’actualité. Si elle comprend c’est bon signe.

Vous arrive-t-il de vous autocensurer ?

L’un de mes dessins dans Vigousse a fait réagir la CICAD (qui traque l’antisémitisme et la diffamation, ndlr) et je trouve ça intéressant car il est bon de se remettre en question. Mais la période est quand même assez dure pour la liberté d’expression. être choqué par un dessin, je le conçois, mais pourquoi vouloir à tout prix que ce qui vous choque n’existe pas ? Après l’assassinat qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo, j’ai dessiné en hommage le Mahomet représenté par Luz. Habituellement la religion ne m’inspire pas, je ne crois même pas en Dieu. Ce sont les êtres humains qui m’intéressent. Quand j’apprends que les femmes saoudiennes peuvent conduire, là ça me concerne.

Le féminisme vous inspire-t-il ?

J’ai illustré la fin de l’impunité au moment de l’affaire Weinstein et je pense par exemple qu’un sujet comme la charge mentale (Quand les femmes se sentent obligées de penser à tout dans la gestion du foyer, ndlr.), je vais le dessiner mieux que mes confrères. Je considère que certaines thématiques sont davantage à nous, les dessinatrices, et me vois comme une militante de l’égalité dans cette profession surinvestie par des hommes par ailleurs souvent très talentueux. Il y a une vigueur du dessin de presse en Suisse romande et nous sommes nombreux à être repris dans Le Courrier International. La visibilité des femmes est beaucoup plus récente, mais elles sont là et bien là aujourd’hui.

Aimez-vous caricaturer les célébrités ?

Poutine a été l’un des premiers que j’ai fait entrer dans mon style quand je travaillais pour Le Courrier. C’est un gros boulot et je ne suis pas capable de dessiner de tête. J’ai des photos sous les yeux. Ma préférence va aux héros ordinaires du quotidien, que j’envisage aussi en allant chercher l’inspiration dans les banques d’images, comme je le fais d’ailleurs pour les décors. Je surfe sur le travail des journalistes mais je dois me détacher pour dessiner, ne pas vouloir être trop précise, trop réaliste.

Bénédicte Sambo

Née en 1972. Dessinatrice de presse. Formée à l’École de Recherche Graphique de Bruxelles. Elle collabore à Vigousse et à 24 heures.