À l’Arsenic, l’art n’est pas féminin ou masculin, mais contemporain
Pamina de Coulon, Julia Perazzini, Tamara Alegre, Ruth Childs, Nicole Seiler, Daya Jones, Claire Dessimoz, Maud Blandel, Ana Wild, Anne Rochat, Simone Aughterlony, Renée Van Trier, Marion Duval, Pauline Boudry, Julie Monot ou Florentina Holzinger. Au Théâtre de l’Arsenic, les créatrices sont plus nombreuses cette saison. Exploratrices de nouvelles dimensions existentielles, les femmes artistes investissent les salles de l’institution lausannoise dirigée par Patrick de Rham. « J’ai toujours programmé pas mal de femmes. C’était déjà le cas quand j’étais au festival Les Urbaines», relève-t-il, précisant : « Ça n’a jamais été par quotas ou par volonté. La question du genre n’est pas une question pour moi. C’est toujours l’œuvre qui touche. Mon intérêt va vers le contemporain, voire le précontemporain. Ce sont des milieux qui sont moins patriarcaux que celui du théâtre plus classique, où l’essentiel des auteurs, l’essentiel des metteurs en scène sont des hommes. Les milieux plus contemporains ont intégré la diversité de manière plus rapide. Avec aujourd’hui des minorités qui font leur grande entrée dans le monde de l’art. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ne m’ont pas éduqué de façon genrée. Je peux travailler sans me heurter à mes propres préjugés. »
La question du genre est secondaire
Comme c’est le cas pour Anne Rochat, qui vient de créer Lanikea à l’Arsenic, une performance envoûtante et symbiotique entre le corps, l’eau et les sons, Patrick de Rham privilégie toute simplement des artistes qui prennent des risques. «Je pense que la question du genre est secondaire, c’est un débat déjà ancien, observe-t-elle. De mon point de vue, les femmes ont tout à fait leur place actuellement. Même si l’histoire nous rattrape parfois, la parité est beaucoup plus présente.»
Julia Perazzini, l’une des créatrices programmée cette année à l’Arsenic avec Le Souper, solo troublant où elle imagine un dialogue avec son frère décédé, partage cet avis. «J’ai pu moi-même, comme vous, me réjouir du fait qu’il y avait «beaucoup de femmes à l’Arsenic », un peu inconsciemment en ouvrant le programme, et finalement on se rend compte qu’on est presque sur du moitié-moitié. Un ami m’a raconté la même histoire en visitant une exposition, où il s’était étonné : « Il y a beaucoup de femmes dans cette expo ! » Et le galeriste lui avait répondu : «Euh non, c’est 50-50.» On voit bien comme notre regard est biaisé, à quel point on est habitués à l’inverse, sans même s’en rendre compte. Quand on constate ce genre d’écart entre nos impressions et la réalité, comment faire pour rééduquer notre regard à tous? Je me rends compte que le fait qu’il y ait la moitié de créatrices à l’Arsenic contribue à me donner confiance en mon travail.»
Les hommes artistes restent toujours avantagés
Si des endroits de création contemporaine comme l’Arsenic laissent largement leur place aux femmes, une étude – également menée en Suisse, notamment à La Manufacture – de la Française Raphaëlle Doyon, docteure en esthétique, sciences et technologie des arts, parue en 2019 et intitulée Trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique, pointe le fait que « les hommes artistes restent toujours avantagés comparativement à leurs collègues femmes artistes, et ce aux différents stades de la trajectoire professionnelle – formation, entrée, maintien ou reconnaissance.»
Claire Dessimoz, chorégraphe et perfor- meuse régulièrement invitée à l’Arsenic par Patrick de Rham, dont elle apprécie l’atten- tion mise aux questions de représentation, d’égalité et d’éthique, remarque que les hommes sont effectivement privilégiés dans certaines circonstances: «Parmi les danseurs et danseuses, tout le monde reconnaît qu’il est plus difficile d’accéder à des places en tant que femmes, puisque nous sommes plus nombreuses à aspirer en faire notre métier. Pour les hommes, le fait d’être peu nombreux dans les écoles et aux auditions
permet d’être plus facilement remarqués. Et il est quand même dingue de constater que, si la notion de quotas est pratiquée en Suisse romande, elle favorise les hommes aux concours d’entrée théâtre et danse de La Manufacture, qui vise un 50-50, puisque que le nombre de femmes candidates est bien plus élevé à ma connaissance ! » La chorégraphe relève néanmoins qu’elle n’a pas rencontré de difficulté à s’affirmer en tant qu’artiste. «Notre surreprésentation globale évidente dans la danse implique aussi des bénéfices. En effet, en comparaison avec d’autres arts, la reconnaissance des femmes dans la danse ne date pas d’hier. Il y a de grandes figures, comme Isadora Duncan, Martha Graham, Pina Bausch ou Anne Teresa de Keersmaeker, La Ribot ou Mathilde Monnier. Nous souffrons moins du monopole des hommes que dans le milieu de la mise en scène, des arts plastiques, du cinéma ou de la musique. Les exemples de femmes fortes, déterminées, fines, rigoureuses, inventives, drôles, nous en avons une quantité remarquable.»