Quand les cantons romands collaborent pour le bien de leur culture

Numéro 63 – Septembre 2019

La culture romande n’existe pas. Pas plus que l’écrivain romand, l’artiste romande, la cinéaste romande. «Parle-t-on de peinture romande pour Auberjonois?

La culture romande n’existe pas. Pas plus que l’écrivain romand, l’artiste romande, la cinéaste romande. «Parle-t-on de peinture romande pour Auberjonois? de cinéma romand pour Goretta? de musique romande pour Binet? Rousseau, Mme de Staël, Albert Cohen ou Nicolas Bouvier sont-ils des écrivains romands? C’est quoi, un écrivain romand?» s’interrogeait récemment Sergio Belluz dans Le Temps. L’auteur cherchait à en finir avec la littérature romande. Tuer le père Ramuz. Et il n’est pas seul.

Il ne faut pas confondre culture romande et coopération culturelle. Unifier, non. S’unir, oui.

Ce parricide identitaire n’est en rien suicidaire. Il ne faut pas confondre culture romande et coopération culturelle. Unifier, non. S’unir, oui. C’est-à-dire collaborer pour durer. C’est en effet à réunir leurs efforts sans perdre leur âme que travaillent les cantons romands, pour le bien d’une culture diversifiée et renforcée.

Reprenons. Les principales aides publiques aux acteurs et projets culturels viennent des cantons et des villes. Les critères d’octroi sont spécifiques à chaque canton ou chaque ville, se ressemblent sans être similaires, se complètent par volonté, se recoupent par hasard, dans l’esprit respectueux du fédéralisme. L’origine des acteurs est presque toujours déterminante. Dans la plupart des domaines, la Confédération apporte des aides subsidiaires selon ses propres critères. A ces deux échelons s’ajoute en Suisse romande un échelon intercantonal. Une sorte d’HarmoS culturel, pour établir un parallèle avec le domaine de la formation. Et ce n’est pas une comparaison prise au hasard puisque les dispositifs communs d’aide à la culture sont en majorité le fruit des réflexions de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP). Plus précisément, ils sont développés au sein de la Conférence des chefs de services et délégués aux affaires culturelles des cantons romands et de la Berne francophone (CDAC). En une décennie, les services culturels des cantons romands ont acquis une grande expérience dans la coopération culturelle. A tel point qu’ils sont appelés actuellement à faire valoir leur expérience auprès de l’ensemble des cantons suisses.

Mais que sont-ils, ces outils romands enviés ?

Mais que sont-ils, ces outils romands enviés? Cineforom par exemple, la Fondation romande pour le cinéma créée en 2011 par Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel, Valais, Vaud et les villes de Genève et Lausanne. Ou le concours «Label + romand arts de la scène», qui favorise tous les deux ans la production de projets ambitieux susceptibles d’être programmés et diffusés largement en Suisse et à l’étranger. Dans le domaine de la musique, les cantons romands ont mandaté en 2016 la Fondation romande pour la chanson et les musiques actuelles (FCMA) pour la création d’un fonds pour le développement d’un projet musical professionnel, appelé «Musique +». Côté édition, les cantons attribuent un soutien concerté et subsidiaire au développement de l’édition et de la promotion du livre en Suisse romande: «Livre +» achève ainsi sa première période de trois ans et sera soumis à une évaluation pour la suite. Autre exemple de coopération romande, la carte «20 ans 100 francs». Créé en 2012, cet abonnement d’accès destiné aux jeunes pour de nombreux événements culturels était valable uniquement sur sol valaisan. Sur l’impulsion de la CDAC et de l’association 20 ans 100 francs, sa validité a été étendue dès 2018 à Fribourg, Jura, Neuchâtel et à la Berne francophone. 

Ces dispositifs d’aide et d’accès à la culture regroupent des partenaires parfois différents. Généralement, l’apport financier du canton partenaire est calculé en proportion de sa population. La diversité des formes de coopération est due à l’historique de chacun de ces dispositifs, mais aussi au besoin de chaque domaine et de chaque partenaire. 

En bref, la collaboration culturelle romande, c’est:

1) Renforcer la diffusion

Dans leur grande majorité, les aides communes visent une meilleure diffusion des œuvres, dans et au-delà du territoire romand. Par exemple, Livre + soutien l’édition d’œuvres littéraires existantes permettant de toucher un nouveau public ou d’élargir le périmètre géographique d’une manifestation de promotion du livre et de la lecture. Label + donne les moyens à une production scénique d’être programmée dans plusieurs théâtres professionnels, en Suisse et à l’étranger. Musique + consolide des projets émergents et renforce leur chance de rayonnement. 

2) Rentabiliser les aides cantonales 

Cette préoccupation de la diffusion des œuvres complète celle de l’aide à la création, souvent dispensée par les cantons isolément. Les aides supracantonales donnent le «+» indispensable qui permet aux cantons, aux villes et à tout autre soutien des chances de voir leurs efforts prolongés et leur investissement récompensé.

3) S’adapter au mode de création 

La mobilité des artistes s’est accélérée. Il est toujours plus difficile de déterminer le canton d’origine des compagnies de théâtre ou des groupes de musique composés d’artistes de diverses origines. Ce phénomène est d’ailleurs une conséquence des outils de formation conçus au niveau romand, comme La Manufacture, qui encourage les étudiants des arts de la scène d’horizons différents à envisager des projets communs dès la sortie de l’école. Qui les finance? Les fonds communs sont plus adaptés que les aides cantonales et favorisent l’échange entre acteurs du monde culturel.

4) Accéder au marché national et international 

Seul, chaque canton ne peut faire accéder durablement la production de ses artistes à un niveau supracantonal. L’effort conjoint des cantons permet aux œuvres d’atteindre un marché économique plus large. 

5) Provoquer un effet levier 

Un projet soutenu par tous les cantons romands ou une partie d’entre eux a davantage de chances d’être soutenu également par d’autres instances, Confédération ou fondations privées. L’exemple est particulièrement éloquent avec Cinéforom, dont les aides aux productions cinématographiques renforcent le soutien déjà obtenu auprès de la Confédération ou de la télévision. 

Si les cantons romands ont à cœur de maintenir et de renforcer leur solidarité, et ce malgré des budgets serrés, un nombre de demandes de soutien toujours plus important et une tentation au repli cantonal préoccupante, c’est donc qu’ils reconnaissent à la coopération ces nombreux avantages.