© Ecole Dimitri

«On est inarrêtable!»

Numéro 68 – Décembre 2020

Comment continuer à rêver d’être un artiste quand l’avenir se truffe d’incertitudes ? Des étudiants des hautes écoles d’arts de la scène témoignent de leur envie d’y croire.

«Cela a arrêté quelque chose, mais on a et on va trouver d’autres rythmes et d’autres formes. On est inarrêtable ! » : Martin, 28 ans, ne se laisse pas abattre par les freins et les incertitudes liés à la pandémie de Coronavirus. En troisième année à l’Accademia Dimitri, haute école spécialisée en théâtre physique, sise à Verscio au Tessin, il a profité du confinement de mars pour lire des essais sur son futur métier, reprendre le jonglage et surtout réfléchir à de nouvelles pratiques. Quant à la danse et à l’acrobatie, il a pu les exercer dans son jardin en se filmant sur demande de ses professeurs. «Bien sûr, cela risque d’être plus dur cet hiver… ».

Comme La Manufacture, haute école des arts de la scène ou Les Teintureries, école supérieure de théâtre, toutes deux situées à Lausanne, l’institution tessinoise a néanmoins pu bénéficier de quelques dérogations concernant le travail en présentiel. «En ce qui concerne l'Accademia Dimitri, nous avons établi une liste des cours qui ne peuvent pas avoir lieu à distance et avons proposé une réorganisation aux autorités», explique Suzanne Lotz, responsable de la communication et du marketing à l’Accademia Dimitri. «Les classes sont divisées en petits groupes. Les uns travaillent en présentiel avec port du masque pendant que les autres sont en ligne. Les étudiants, ainsi que tous les collaborateurs sont responsables et font preuve d'une grande maturité concernant les normes sanitaires. »

Je n’ai pas hésité à me lancer dans la formation. Les obstacles stimulent mon énergie.

A La Manufacture, les étudiants de la filière danse ont dû accepter d’évoluer masqués sauf sur scène, ce qui implique une interprétation contrainte par le manque de contacts. «C’est un stress qui s’ajoute au stress des projets à réaliser», relève lucide Robinson, 18 ans, étudiant de 1ère année du Bachelor en Contemporary Dance. «Mais je n’ai pas hésité à me lancer dans la formation. Les obstacles stimulent mon énergie.» En 2e année de théâtre, Etienne, 23 ans, affiche lui aussi sa clairvoyance concernant son futur métier. «Il a toujours été fragile. Tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Il faut être en lien avec d’autres mondes pour pouvoir choisir ce que l’on veut faire. Je fais du théâtre pour éprouver ma liberté. »

Savourer le temps de l’apprentissage

Dans un monde des arts vivants en stand-by, où la menace de la précarité, voire de la disparition, plane, les futurs professionnels veulent profiter, aussi bien que possible, de leur temps d’apprentissage. En première année aux Teintureries, Aymeric, 24 ans, tient fortement à avoir des cours en présentiel. «J’ai l’impression que nos prédécesseurs ont eu leur première année cambriolée. J’ai besoin de continuer à venir à l’école avec toutes les précautions nécessaires.» Côme, 22 ans, veut lui aussi conserver l’énergie issue du partage. «Je pense que l’on comprend mieux ensemble beaucoup de choses que l’on avait abordées en classe préprofessionnelle sans vraiment les comprendre.» Quant à Igaëlle, 21 ans, si elle accepte les contraintes actuelles, elle espère toujours pouvoir pratiquer pleinement son art. «Je suis pour la nouveauté et l’expérimentation de nouvelles formes virtuelles, mais il y a aussi tout ce qu’on laisse derrière. J’aimerais pouvoir à nouveau toucher les autres avant la fin de ma formation.» Quant à savoir si les arts vivants intéresseront encore le public après des mois d’arrêt, la question ne se pose pas. «Le théâtre existera toujours comme il le fait depuis des milliers d’année. Il a été l’endroit de mes plus grandes émotions en tant que spectateur et je pense ne pas être le seul à les avoir éprouvées !»

A Lausanne ou à Verscio, les futurs comédiennes et comédiens, danseuses et danseurs ou performeuses et performeurs ne sont donc pas prêts à baisser les bras malgré une précarisation annoncée et augmentée des professionnels des arts vivants.

Au fond, la création c’est la vie

Salomé, 25 ans, en 1ère année à l’Accademia Dimitri, affirme la nécessité de partage tant pour étudier que pour les représentations. « J’ai vraiment réfléchi à la question du renoncement. J’ai des doutes énormes qui sont liés à la fois à ma personnalité et à ma génération, mais j’ai en moi des piliers sur lesquels je peux m’appuyer : d’une part je sais que l’être humain a besoin de poésie et d’être relié aux autres êtres humains ; d’autre part, raconter est le fondement des sociétés. Tout cela forme la culture et pour moi personnellement, cela me mène vers le théâtre. Au fond, la création c’est la vie. » Détentrice d’un double Bachelor en philosophie et allemand obtenus à la Sorbonne à Paris, cette Fribourgeoise rayonne à l’idée d’être à Verscio. «J’ai trouvé ma place. En philosophie, il me manquait quelque chose. Aujourd’hui, je suis pleinement moi. Le théâtre est mon lieu de résistance. Ma manière de lutter contre la morosité et de réenchanter le monde. »