De l’art de la grotte à l’école d’art
Les archéologues et les historiens sont désespérément muets face à l’énigme : ils ignorent encore si les peintres et les graveurs ayant décoré la Grotte Chauvet, à Vallon-Pont-d’Arc en Ardèche, ont préalablement suivi le moindre cours au sein d’une école d’art comme nous les connaissons aujourd’hui — et comme nous les évoquons dans le cadre de ce magazine.
En tout cas nul ne connaît d’institution comparable qui fût en activité voici 21 000 ans. Ni 2000 ans plus tard, d’ailleurs, quand d’autres plasticiens investirent en Dordogne actuelle les cavités de Lascaux pour y figurer toute une sarabande d’aurochs et de bisons, de chevaux, de cerfs, d’ours, de rennes, de félins et de bouquetins.
Il vaudrait pourtant la peine d’en savoir un peu plus. Le travail de ces ancêtres, comme on sait, participe de l’art le plus foudroyant, établi sur des savoir-faire qui règlent magistralement quelques problèmes comme ceux de la perspective et de la troisième dimension représentées sur des surfaces inégales. De Soulages à Picasso, en passant par les praticiens majeurs du street art à la Banksy, tous les créateurs exprimant utilement notre temps s’en sont inspirés ou le font encore.
Les écoles d’art sont-elles utiles ?
D’où cette interrogation qu’on pourrait supposer grossière ou réactionnaire : nos écoles d’art sont-elles utiles ? Je veux dire : qu’enseignent-elles à leurs étudiants dont leurs prédécesseurs du Paléolithique supérieur auraient été les ignorants ? Ou pour le dire autrement : ces prédécesseurs auraient-ils tiré le moindre profit des formations dispensées par nos écoles d’art ?
Si l’on s’en tient à l’essence de l’art lui-même, c’est-à-dire aux principes intimes qui font jaillir l’art de certains êtres touchés par la grâce et soucieux de la formuler, les écoles d’art ne servent à rien. Elles auraient même tendance à tromper certains de leurs étudiants sur leur propre compte, en leur faisant supposer qu’ils sont élus d’entre les élus alors même qu’ils ne pressentent rien des vibrations secrètes animant leur personne et le monde.
On peut réfléchir plus généreusement, c’est vrai, en considérant l’école d’art comme un moyen privilégié, pour ses étudiants, d’une mise en miroir personnel : elle les confronte, par le biais de ses programmes et de ses enseignants, à ce qu’ils connaissent d’eux-mêmes ou ne connaissent pas. On peut aussi la voir comme une cellule d’aide à l’insertion professionnelle et sociale : elle leur inculque tout des paysages culturels et subventionneurs environnants.
C’est peu de chose, sans doute, à l’aune des ressorts sacrés faisant qu’un créateur est un créateur ou le devient — au lieu d’être un imposteur, voire un agent de ce qu’on nomme sans craindre l’oxymore le « marché de l’art ». Et singulièrement de cette usine à gaz qu’est devenu, sous son appellation doucement terroriste autant qu’absurde, le « marché de l’art contemporain ».
C’est peu de chose, dis-je, mais ce peu-là n’est pas rien. À défaut d’enseigner à leurs étudiants quoi que ce soit d’essentiel dont les créateurs de la Préhistoire n’auraient pas été doués, nos écoles d’art s’en tiennent à des ambitions plus modestes : elles leur plongent la tête et les mains dans notre aujourd’hui. Elles leur font connaître la pâte séculière de notre époque aux fins qu’ils s’y débrouillent avec efficacité. Un beau matériau d’inspiration critique pour ceux d’entre eux déjà choisis par le destin. En attendant, mes amis, encore un petit coup d’œil du côté de Lascaux si ce n’est Chauvet ?