« Nous avons passé le cap du fordisme, il faut lâcher la bride »
Marc Pfister est le directeur de l’École d’Arts Appliqués de La Chaux-de-Fonds depuis 23 ans. En plus de trois décennies, il a vu la technologie métamorphoser certains métiers et la tradition en maintenir d’autres. Alors que l’école cantonale neuchâteloise demeure l’unique au monde à proposer une formation de gravure horlogère, le directeur envisage l’avenir dans une certaine transversalité des métiers.
Pendant que les élèves en interactive media design 4IMD s’immergent dans le workshop d’illustration « L’école du futur » pour CULTURE ENJEU sous la direction artistique de Dexter Maurer, Marc Pfister songe à l’école d’arts appliqués de demain. Une mise en perspective qui se profile en vue des 150 ans de l’institution en 2022.
L’EAA jouit d’une notoriété à la ronde qui ne date pas d’hier. Comment l’expliquez-vous ?
L’école d’arts appliqués de La Chaux-de-Fonds est une très vieille dame qui a vu le jour en 1872. Les gens de la région y sont extrêmement attachés, c’est autant surprenant qu’encourageant. Elle doit son envol aux patrons graveurs en horlogerie qui l’ont créée pour faire face à la montée en puissance de la concurrence française, anglaise et américaine au niveau de ce que l’on appelle aujourd’hui le design.
Cette formation existe encore aujourd’hui.
Elle est même unique au monde ! Nous sommes les seuls à former des graveurs à la main, au burin traditionnel à plein temps avec entre trois et quatre élèves par années de formation (formation sur 4 ans). C’est un métier merveilleux et archi-traditionnel, ce qui n’empêche pas de travailler avec des imprimantes 3D. La technologie permet beaucoup de choses, mais il n’y a aucune comparaison entre un travail de gravure au laser et un travail fait main par un bon graveur.
Graveur, un métier d’avenir ?
L’industrie a compris l’enjeu de la sauvegarde des métiers d’art. Nous sommes un peu le gardien du temple des petits graveurs. Malgré les débouchés fluctuants au cœur de l’industrie horlogère, on observe une certaine constance dans le marché de niche de la montre de luxe.
Qu’apporte la technologie dans les métiers d’arts appliqués ?
L’informatique a permis de condenser une multitude de systèmes D et bidouilleries avec des résultats époustouflants. En même temps il y a cette petite touche du fait main qui manque et qui revient. Les technologies ouvrent des perspectives sur des nouveautés. Mais elles servent aussi à approfondir certains secteurs, comme la sérigraphie, que nous avons également maintenue dans nos cours.
Quelle est le moteur pour apprendre ce type de métiers ?
C’est le processus de création en partant de l’idée jusqu’au produit fini. Cette gestion est propre à tous nos métiers dans le domaine de la communication visuelle, le graphisme, les « interactiv media designers » et aussi la mode et la joaillerie. Nous sommes attentifs à mettre en valeur cet aspect qui a un coût. On ne peut pas se contenter d’enseigner. Il doit y avoir des prérequis, une curiosité, une envie intrinsèque de découverte. A partir de là, on développe des techniques et des méthodes dans lesquelles l’objet est l’acte de création, référencé, argumenté, défendable, justifiable, construit.
Vous fêterez les 150 ans de l’école en 2022. Comment voyez-vous l’école du futur ?
Dans la transversalité des métiers. A leur manière, ils parlent exactement le même langage. Je crois que le futur de l’école se profile dans un élan permanent de développement sur le cœur de nos métiers. Nos élèves le font intuitivement. On voit souvent des graphistes en quête de textures et de matières du côté du secteur mode. Quant à elle, la mode est souvent appelée dans le secteur des designers horlogers pour du décor de cadran ou des bracelets par exemple. L’avantage, c’est que ces processus de créations sont infinis. Ces croisements sont inéluctables et c’est dans la combinaison entre eux que provient le potentiel fantastique de nos métiers. Un de nos grands projets pour le 150e est de fracasser complètement les cloisons pour faire travailler nos élèves sur une même thématique et tout mélanger. C’est assez complexe à planifier, mais c’est génial.
Comment faciliter cette transversalité ?
Avec moins de paperasse, de tracasserie et de règlements. Je pense qu’on a passé le cap du fordisme, il faut lâcher un peu la bride. Le cœur même de notre rôle de formateur, c’est le développement des élèves. Plus qu’une simple école d’arts appliqués, nous sommes une école de vie allant bien au-delà de la simple acquisition d’un métier pour devenir un bon citoyen. Nous transmettons du sens et des valeurs que nos étudiants garderont toute leur vie. Ce qui m’est cher, c’est de pouvoir amener nos candidats à être capables de donner des bonnes réponses.
Illustrer l’école du futur en cinq jours
La mission confiée à la classe d’interactive media designers lors du workshop était claire : illustrer individuellement de façon statique et animée l’école du futur pour sublimer les pages de ce numéro de CULTURE ENJEU consacré aux formations artistiques. A quoi ressembleront les écoles dans 20 ans ? Dirigées par des robots à l’intelligence surhumaine ? Seront-t-elles réduites à l’apprentissage en mode tout écran ? Irons-nous étudier au clair de la lune ? Ou alors peut-être ne ressemblera-t-elle à rien de tout cela. Les élèves avaient carte blanche. Mais pour les guider dans le processus créatif de leur imagination, notre directeur artistique a fait appel à l’illustrateur jurassien Dexter Maurer. Passionné de dessin depuis son enfance, il a réalisé un jour avec émerveillement qu’il pourrait en faire son métier. Après sa formation à l’EPAC à Saxon (VS), il explore l’univers de la science-fiction qui le captive. Son talent ne tarde pas à être remarqué et certaines marques de sportswear comme Nike font appel à lui pour se fondre dans son imagerie fantastique.