Apprendre à dessiner, c’est gagner des métiers

Numéro 59 – Septembre 2018

Les bédéistes du futur sont en marche. De plus en plus nombreux, les jeunes Romands se forment à l’art du phylactère dans l’une des trois écoles qui le proposent.

Faire de la BD, c’est bien, mais à part ça vous faites quoi dans la vie ? La question est provocatrice, mais elle pourrait être posée à l’autodidacte qui se lance aujourd’hui en Suisse romande dans l’illustration narrative et qui doit légitimer son travail auprès de ses employeurs. Multiformes, multigenres et multimédia, la bande dessinée contemporaine réclame des connaissances affûtées qui méritent d’être couronnées d’une reconnaissance officielle en forme de diplôme professionnel. Malgré un lectorat traditionnel vieillissant de plus en plus de jeunes s’intéressent à la BD sous toutes ses formes – album, manga, numérique, animée, jeu vidéo, réalité augmentée, etc. – et aimeraient en être les actrices, acteurs et auteur.e.s. « A l’âge de onze ans, j’ai eu un déclic en regardant un épisode de manga que j’aimais bien et c’est alors que j’ai décidé de faire du dessin animé. Un rêve très particulier surtout pour quelqu’un qui vient des montagnes suisses », témoigne Oana Lacroix, dessinatrice chez Nadasdy film, qui a pu trouver la formation qui lui convenait en Suisse romande à l’école Ceruleum après un cursus en Italie.

Actuellement pas moins de trois écoles, 2 privées, 1 publique, en Valais, dans le canton de Vaud et à Genève se proposent de former les futurs bédéistes. Une offre encore méconnue et qui pourrait sembler superfétatoire, mais elle correspond à la demande grandissante de formation et aux spécificités de l’illustration d’aujourd’hui. « La scène suisse de la bande dessinée est vibrante et gagne partout en force et visibilité », confirment les acteurs du tout nouveau Réseau BD Suisse initié par Fumetto, BDFIL, Cartoomuseum Basel et l’Office cantonal genevois de la culture et du sport (lire en page 6). Le Réseau vise notamment à créer des liens entre les institutions et acteurs impliqués dans le domaine de la bande dessinée en Suisse.

Les trois écoles qui donnent une formation de base en illustration narrative ne sont pas vraiment concurrentes. Avec la particularité d’une reconnaissance fédérale, l’ESBD (École supérieure de bande dessinée et d’illustration) de Genève comprend la possibilité de poursuive ses études dans les filières HES ou Universitaires helvétiques ; l’EPAC (École professionnelle des arts contemporains) à Saxon se distingue par une formation notamment orientée Game Art (jeu vidéo) avec la possibilité d’obtenir un European Bachelor / Master of Fine Arts accrédité par l’EABHES (European Accreditation Board of Higher Education Schools) ; Ceruleum à Lausanne offre une formation spécialisée entre autres dans le film d’animation qui peut déboucher sur un Bachelor ou un Master européens en illustration/BD ou en dessin animé accrédité par la Fédération Européennes des Écoles. Gratuite pour les étudiantes et étudiants de l’ESBD, la formation est payante à l’EPAC (environ 11 000 fr par année) et chez Ceruleum (environ 16 000 fr par année). Des bourses peuvent toutefois être obtenues auprès de la fédération des écoles privées suisses : http://swissschools.ch/index.php/stipendien et quelques conseils peuvent être trouvés quant au choix d’une école sur Orientation.ch.

Formations tous azimuts

Selon Philippe Chappuis, alias Zep, parrain de la toute récente ESBD, le métier a un côté très technique qui nécessite une bonne formation. Ouverte en automne 2017, l’ESBD a été désirée avec force par les bédéistes locaux. Portée par l’Association professionnelle suisse des auteur-e-s de bande dessinée (SCAA), dont le dessinateur genevois Tom Tirabosco est le président, en partenariat avec la Haute École d’art et de design (HEAD – Genève), cette école de bande dessinée professionnelle s’articule autour d’une formation de deux ans et s’adresse à des jeunes ayant un CFC de graphisme – avec la possibilité, au terme du cursus, d’entrer directement en deuxième année de Communication Visuelle de la HEAD (Haute école d’art et de design), filière « image récit ». « Une telle école manquait auprès des jeunes qui ont envie de raconter des histoires avec des dessins », souligne Tom Tirabosco. « Il y avait également une demande des entrepreneurs locaux qui aiment communiquer avec des affiches ou des flyers dessinés. »

Cours pratiques (dessin, croquis, illustration, écriture de scénario), cours théoriques (communication, gestion, anglais, droits d’auteur, contrat d’édition) et workshops avec des auteurs reconnus, pour le doyen Patrick Fuchs, cette formation n’est pas un miroir aux alouettes. « Les étudiants savent que cela va être difficile. Ils doivent réussir à imprimer une identité forte à leur travail pour exister dans une immense configuration d’auteurs, mais ils approchent aussi le dessin plus commercial qui peut les aider à gagner de l’argent. » Des ateliers pratiques, comme celui mené fin juin avec le collectif Hécatombe autour de la BD numérique, élargissent encore leurs perspectives. « Ce médium contemporain de lecture est encore peu exploité car les lecteurs sont attachés à l’artefact. Certain d’entre eux sont néanmoins curieux de nouvelles expériences », note Yannis la Macchia, l’un des membres du collectif qui a déjà publié trois BD numériques. Pour Fabian Menor, 20 ans (voir dessin ci-après), étudiant de 1e année, ce genre de workshop est indispensable. « La force de l’ESBD, c’est de pouvoir expérimenter différents médiums. En un an, j’ai déjà beaucoup appris. En revanche j’aime l’objet livre, je le trouve beau. Je suis convaincu qu’il perdurera. Et même si travailler chez Pixar est mon rêve, je veux dessiner les histoires que j’aimerais lire ou voir. »

À l’EPAC (Ecole professionnelle des arts contemporains), première école privée de bande dessinée de Suisse romande, fondée en 1993 par Patrizia Abderhalden, actuelle directrice, les étudiants expérimentent aussi volontiers le 9e art en lien avec les évolutions technologiques et le monde professionnel. Dernière expérience marquante en date, un mandat pour le Service de la Culture du Valais qui a invité l’école à réaliser une brochure en réalité augmentée, combinant le support papier traditionnel avec des animations en trois dimensions qu’on découvre à l’aide d’une application à télécharger sur son smartphone. Voir sur www.culturevalais.ch.

Quant à Ceruleum, école d’arts visuels, sa directrice Maria Heinzer-Wallden mise avant tout sur l’intégration professionnelle. En témoigne Cerulab, un lieu d’expérimentation professionnelle installé dans les Garages du Flon sous l’égide de l’école. Elle encourage les participants à développer et expérimenter leurs compétences professionnelles en devenir, dans un cadre formel, mais post-académique avec l’exécution de mandats professionnels, amenés soit par la Junior Entreprise de Ceruleum SA, soit par les participants eux-mêmes.
 

Sites internet des écoles et collectif cités :

www.ceruleum.ch
www.epac.ch
www.esbd.ch
https://hecatombe.ch/blog

BDFIL et Ceruleum :

Les 24Heures de la BD
Inventées par Scott Mc Cloud, les 24 heures de la bande dessinée invitent professionnels ou amateurs à réaliser, en 24 heures, une bande dessinée complète, en respect d’une contrainte énoncée au début du projet.
http://24heuresbandedessinee.ch