Ma petite entreprise…

Numéro 25 – Mars 2010

L’artiste est-il un petit entrepreneur comme les autres ? Vu comment le système de prévoyance sociale suisse le traite, on peut se poser la question. En effet, il revient en grande partie à l’artiste lui-même (et, au delà des artistes, à l’ensemble des travailleurs culturels) de prendre en charge sa sécurité sociale ; le libéralisme et la « responsabilité individuelle » poussés dans leurs limites. D’autant plus que les revenus moyens dans le secteur culturel ne peuvent se comparer – et de loin – à ceux des grands banquiers, par exemple.

Travailleurs atypiques

Une étude commune de l’Office fédéral de la culture et de l’Office fédéral des assurances sociales a récemment mis en lumière le déficit de prévoyance vieillesse pour les professionnels de la culture et des arts. On y « apprend » que, dans le meilleur des cas, la plupart des acteurs culturels auront une rente AVS complète (2’280.- francs par mois) ! En effet, le système de retraite actuel basé sur les deux piliers (AVS et LPP) exclut une grande partie du monde de la culture du deuxième pilier (LPP), puisque les dispositions législatives actuelles ne sont pas du tout adaptées à ce secteur économique. Le deuxième pilier, indispensable pour garder un niveau de vie décent à la retraite, n’est pas obligatoire pour les travailleurs avec un contrat de courte durée.

Une grande partie des acteurs culturels de Suisse sont des salariés. Ils sont aussi, la plupart du temps, des travailleurs intermittents. Ils n’ont donc que des contrats à durée déterminé, en général de courte durée (entre six et douze semaines pour le théâtre, par exemple, souvent moins pour la danse contemporaine), et changent fréquemment d’employeur. C’est de loin la situation la plus courante pour les arts de la scène.

En revanche, les plasticiens, écrivains, musiciens (hors orchestre classique) sont souvent des indépendants, ou considérés comme tels du point de vue fiscal. Pour eux, la protection sociale ne représente presque rien et, la plupart du temps, il est illusoire d’espérer constituer un 3e pilier, compte tenu du niveau des revenus.

Ainsi, quel que soit le cas de figure, les acteurs culturels sont ce que l’Office fédéral des assurances sociales appelle des travailleurs atypiques : « Le secteur culturel peut ainsi être considéré comme le cas d’école d’une branche économique offrant des emplois atypiques ». C’est d’ailleurs cette « exemplarité » qui fait que l’administration fédérale s’intéresse à leur situation, puisque le nombre de travailleurs atypiques grossit sans cesse, y compris hors du secteur culturel.

La culture suisse mérite mieux

Au moment de la révision de la loi sur l’encouragement à la culture (LEC), Suisseculture publiait une brochure intitulée La culture suisse mérite mieux. Un des enjeux de la loi était d’y inscrire les conditions-cadres pour que la prévoyance sociale des acteurs culturels soit améliorée. Après beaucoup d’hésitations, il reste une ébauche de prise en compte de la spécificité de ces professions. Mais, alors que le Conseil fédéral a la compétence d’édicter des règles particulières pour un secteur économique pour la LPP notamment, il ne souhaite pas faire usage de celle-ci.

« Plus j’ai envie que quelque chose soit fait, et moins j’appelle ça du travail. »
Richard Bach

Au contraire, on demande aux acteurs culturels de s’organiser seuls ! Dans le rapport du groupe de travail sur la sécurité sociale des acteurs culturels de 2008, il est même écrit : « Les auteurs du présent rapport recommandent aux associations culturelles de s’atteler au plus vite à la création d’une institution de prévoyance de tous les acteurs culturels ». C’est chose faite dorénavant avec le réseau Prévoyance Culture. Ce réseau permet aux acteurs culturels de cotiser pour la LPP, quel que soit leur statut, et devrait permettre aux promoteurs culturels d’en faire de même. La LEC a inscrit cette obligation pour la Confédération et Pro Helvetia, et plusieurs cantons l’ont fait ou sont en train de modifier leurs pratiques en la matière.

Ainsi les « nos petites entreprises » se sont donné les moyens d’améliorer la sécurité sociale des acteurs culturels. Mais le filet n’est pas parfait, loin s’en faut. Il n’y a pas de protection en cas de maladie, l’accès à l’assurance chômage est de plus en plus difficile (pour les salariés). Il reste beaucoup à faire pour la culture suisse et pour que les artistes vivent correctement ! Car il est vain de lutter pour la liberté de l’art sans prendre en compte les conditions de vie et de travail effectives de ceux et celles qui contribuent à le rendre vivant et accessible.


En moyenne nationale,
les travailleurs du secteur culturel sont :

  • 4 fois plus nombreux à être indépendants
  • 2 fois plus nombreux à avoir des employeurs multiples
  • 7 fois plus nombreux à être en contrat à durée déterminée
  • 3 fois plus nombreux à être au chômage