« Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés »

Numéro 28 – Décembre 2010

« Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés » (Jean de la Fontaine, Les animaux malades de la peste). Au lendemain de l’acceptation par le peuple de la 4e révision de la loi sur l’assurance-chômage, les arts de la scène doivent repenser leur mode de fonctionnement, tout spécialement en Romandie. En effet, dans un secteur où la production par projets est la norme, le chômage a en partie financé l’explosion de l’offre culturelle de ces quinze dernières années.

Le Syndicat Suisse Romand du Spectacle (SSRS) ainsi que de nombreux professionnels des arts de la scène se sont engagés fortement dans la campagne référendaire contre la révision de la loi sur l’assurance-chômage. Nous avions dénoncé depuis plus de deux ans les effets catastrophiques que cette révision aurait sur le spectacle vivant et enregistré. En Suisse romande l’essentiel de la production de spectacles vivants se fait par projet, c’est-à-dire par des équipes « intermittentes » qui fonctionnent le temps d’un spectacle. Elles disparaissent ensuite jusqu’au prochain spectacle, souvent au moins un an après, et les membres de l’équipe s’en vont, pour la plupart, travailler pour d’autres projets. Pour l’immense majorité des professionnels, l’ensemble d’une carrière se fait en contrat à durée déterminée de court, voire très court terme – très rarement trois mois. Entre deux contrats, le recours à l’assurance-chômage est donc une nécessité, ce d’autant plus que les salaires sont en général très bas dans ce secteur.

Pour tenir compte des spécificités de ces métiers atypiques (selon la terminologie de l’Administration fédérale) le législateur a prévu quelques aménagements de la loi, une espèce de régime spécifique français au rabais. Mais, au fil des années, le nombre de productions s’est multiplié, ainsi que le nombre de contrats, mais la durée de ces derniers s’est réduite comme peau de chagrin, une partie du travail n’étant plus aujourd’hui rémunérée – comme l’apprentissage du texte, par exemple. Des études montrent que la situation est la même en France. C’est-à-dire que, de fait, l’offre culturelle dont nous bénéficions aujourd’hui en Suisse romande a été en partie financée par le biais de l’assurance-chômage et par les professionnels eux-mêmes, qui se sont largement appauvris.

Entre deux contrats, le recours à l’assurance-chômage est une nécessité, ce d’autant plus que les salaires sont en général très bas dans ce secteur.

Cette situation n’était pas tenable quelle qu’ait été l’issue du référendum. Et, là aussi, les exemples européens montrent que, dans la plupart des pays, le recours au chômage, s’il est reconnu comme nécessaire, devient plus difficile pour les professions du spectacle. Conscient de ces difficultés, le SSRS travaille sur trois axes indissociables pour permettre de maintenir l’offre culturelle et pour donner des conditions de travail et de production correctes. En outre, il est en discussion avec différents partenaires sur ces questions.

Augmenter le montant des subventions culturelles afin que le travail effectué pour un employeur puisse être rétribué par l’employeur. Il n’est en effet pas normal qu’une grande partie de la préparation d’un projet ne soit pas payée par un salaire mais par le chômage. Il faut donc augmenter la durée « moyenne » des contrats et permettre de financer les différents postes d’une production. Il est, malheureusement, de plus en plus courant de renoncer à certains postes par manque de moyens. C’est alors l’existence même de certains métiers qui est remise en question, ce qui entraînera un grand appauvrissement de la qualité artistique d’une production.

Améliorer la prise en compte des spécificités de nos métiers par les différentes assurances sociales, et pas seulement par l’assurance-chômage. Les travailleurs du spectacle vivant et des médias sont parmi les très précaires ; ils ne sont souvent quasiment pas protégés en cas de maladie, par exemple. La retraite est aussi souvent réduite à sa plus simple expression et nombreux sont les artistes qui finissent leur vie avec des prestations complémentaires.

Augmenter l’emploi « hors scène ». Ce volet, qui est le plus novateur, vise à augmenter les possibilités d’emploi en tenant compte des capacités des professionnels du spectacle, compatibles avec l’exercice d’une activité artistique, mais hors du bassin d’emploi traditionnel. Par exemple, de nombreux pays européens font appel à des comédiens pour des jeux de rôles ou des mises en situation dans la formation des enseignants, du corps médical, des ecclésiastiques et des policiers… Il est possible aussi de développer des cours d’arts oratoires tant à l’école obligatoire que pour les professeurs ou les avocats. Les exemples sont nombreux, y compris dans la collaboration avec le secteur privé. Ce projet, intitulé « Nos métiers ! », est inspiré de projets similaires qui ont vu le jour dans les pays du nord il y a une dizaine d’années suite à une modification de la loi sur l’assurance-chômage, pour éviter qu’une grande partie des professionnels ne doive quitter le secteur. Il est actuellement soutenu par le SSRS, l’UTR, la HETSR et Artes et Comodia.

Ces trois axes n’ont de sens que s’ils sont complémentaires. Il serait en effet illusoire de ne se battre que sur un des fronts. D’un autre côté, les responsables politiques et les « subventionneurs » ne peuvent pas faire l’impasse sur l’ensemble du questionnement. C’est la survie d’un secteur qui est en jeu. Mais c’est aussi, et d’abord, la possibilité pour les amoureux du spectacle de voire des pièces, des films, des chorégraphies, des musiques ou des opéras produits ici, qui soient le reflet de nos préoccupations et de nos envies. Il serait dommage de se contenter d’importer, quelle que soit la qualité de ce qui nous viendrait d’ailleurs.