Un marché de la BD en constante progression aux frais des auteurs

Numéro 59 – Septembre 2018

Au fil des ans, le 9e art est devenu une valeur sûre. Le nombre de livres explose, les prix aussi, mais les auteurs n’en sortent pas forcément gagnants.

« En quinze ans, le nombre de livres de bandes dessinées francophones éditées est passé de quelque 1200 à 5300 par année », indique Philippe Duvanel, directeur de BDFIL pendant 9 ans et actuel directeur artistique de Delémont BD. Selon lui, il devient beaucoup plus difficile pour les premiers acheteurs, les libraires, de suivre l’actualité et de faire un choix, alors que le gâteau des ventes potentielles n’a pas augmenté. « Les tirages ont été divisés pas 10, passant de 50 000 exemplaires à 5000, mais ce qui est intéressant, c’est que l’offre éditoriale s’est très largement étendue, et explore aujourd’hui une infinie variété de genres. »

Signés Gilles Ratier, secrétaire général, les rapports de l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée, (ACBD) analysent une année de BD sur le territoire francophone européen. En 2016, le dernier soulignait que le 9e art s’était taillé une place de choix au sein de l’industrie culturelle avec des politiques éditoriales nouvelles et efficaces. Alliant valeurs sûres et productions de niche, quelque 400 éditeurs occupent le marché francophone.

Tout semble donc pétiller dans le monde des bulles, les éditeurs sont satisfaits et les lecteurs aussi, mais les auteurs eux, seraient plutôt amers.

De puissants groupes comme MP (Dargaud, Dupuis, Le Lombard) et une douzaine d’importantes structures le dominent couvrant 70 % de la production. En octobre dernier, un rapport du Syndicat national de l’édition (SNE) français démontrait que le secteur a connu un taux de croissance de 20 % au cours des dix dernières années. En tête des tirages et des ventes les dernières aventures d’Astérix (5 millions d’exemplaires), de Titeuf (550 000 exemplaire) ou du Chat (300 000 exemplaires).

Tout semble donc pétiller dans le monde des bulles, les éditeurs sont satisfaits et les lecteurs aussi, mais les auteurs eux, seraient plutôt amers. Denis Bajram, auteur et secrétaire des Etats généraux de la BD le relevait à Culturebox lors de la sortie de l’enquête du SNE : « Pour les auteurs, individuellement, le chiffre d’affaires diminue. »

Pierre Paquet, des éditions Paquet à Genève, l’un des rares éditeurs suisses romands avec Atrabile, nuance lui aussi ce bilan positif. « Il y a dix ans, 10 % des ventes mondiales de la bande dessinée étaient réalisée en Suisse aujourd’hui, elles sont réduites à moins de 5 %. J’observe que des libraires spécialisées se sont fermées. Le prix croissant des albums dû à la multiplication des ouvrages et à des tirages amoindris serait l’une des explications. Personnellement, je me bats pour contenir mes marges. »

La Suisse : 3 à 5 % du marché francophone

Chez Dargaud Suisse à Moudon, Anne-Catherine Barret, chargée de communication, rend hommage à la Suisse « pays de Rodolphe Töpffer, considéré comme le père de la bande dessinée moderne. » Le marché suisse représenterait de manière globale entre 3 et 5 % du marché francophone et la consommation de bandes dessinées en Suisse serait supérieure à celle de la France comparée au nombre d’habitants. « À Dargaud Suisse, nous comptons des auteurs suisses reconnus sur la scène internationale tels, chez Lombard, Derib, Ceppi, Cosey (Grand Prix d’Angoulême 2017) ou chez Dargaud, Enrico Marini. »

Avec près de 300 000 albums achetés annuellement en Suisse romande, la FNAC serait leader des ventes dans le pays. Selon la responsable BD, Laurence Wuethrich, l’entrée en jeu de nouveaux éditeurs, plus à l’écoute du marché, a su capter des publics plus larges. « La BD est devenue un format de lecture incontournable qui divertit à travers des séries de fictions et aborde sublimement les faits de notre société. L’essor de la BD féminine/iste démontre l’intérêt des femmes lectrices et auteures d’être présentes sur ce marché. Les comics ont fortement progressé par une ligne éditoriale portée par les licences de films DC et MARVEL au cinéma. Récemment, nous avons constaté une hyper production de BD de youtubeurs qui rencontrent un fort succès auprès des ados. Quant aux auteurs suisses, trois sont en tête de nos ventes : Zep, Bertschy et Derib. »

Pour Christophe Jacquier, responsable Payot à Genève, ces trois auteurs sont également en tête de liste de son rayon BD, même si ce dernier ne cesse de grandir et de s’étayer pour répondre à l’énormité de l’offre. Il est conscient que certains nouveaux auteurs doivent se battre pour leurs droits. « Malheureusement avec une telle concurrence beaucoup de BD passent à la trappe. Ce qui est difficile c’est que la BD doit se montrer plus que se dire, et parfois nous n’avons pas la place pour le faire ! »