Image extraite du court-métrage Trou Noir de Tristan Aymon

Défenseur du court-métrage

Numéro 68 – Décembre 2020

A 34 ans, le réalisateur Tristan Aymon milite pour les intérêts du court-métrage. L’ancien étudiant en cinéma de L’ECAL - École cantonale d’art de Lausanne – presse le milieu de soutenir la création locale.

Pour apprendre à connaître le cinéaste valaisan, rien de mieux que de regarder ses réalisations comme son dernier court-métrage Trou Noir, qui peint son adolescence un peu «bluesy» dans une petite ville d’un Valais à l’atmosphère états-unienne. «À l’âge des protagonistes de mon film, j’avais des problèmes avec mes études. J’ai doublé, et fini ma scolarité secondaire entre le Canada et l’Allemagne. C’est mon cursus de cinéma qui m’a finalement mis sur les rails. Avant, je fuyais tout apprentissage intellectuel. Ma soif d’apprendre est née de la rencontre avec mon métier. Tout d’un coup, je voulais écrire un scénario dans un français impeccable ou parler couramment l’anglais pour m’ouvrir à des points de vues internationaux», raconte cet ancien étudiant à l’ECAL.

En août dernier, l’errance esthétique de son nouveau projet été primée au Festival international du film de Locarno. Tristan Aymon est reparti avec l’argent des Pardi di Domani – les Léopards de demain. L’ancienne directrice artistique de la manifestation tessinoise, Lili Hinstin, l’avait classé parmi ses coups de cœur 2020. Projeté en octobre à Martigny, puis prévu à la Nuit du Court Métrage à Lausanne avant son annulation, Trou Noir sera diffusé sur la RTS qui l’a coproduit. Une tournée des lauréats de Locarno est aussi prévue dans les salles romandes. «Avec la crise, les dates n’ont pas encore été fixées.» Rendez-vous en 2021!

La course aux festivals – étape inévitable pour intégrer le circuit professionnel - il en connaît le tracé. Il y a 10 ans, son travail de diplôme Ultima Donna avait déjà été présenté dans les grands rendez-vous européens de cinéma d’auteur. «L’avantage quand tu termines L’ECAL, c’est que tu as un film à montrer. C’est bien mieux qu’un bout de papier qui n’intéressera jamais personne, en tout cas dans ce milieu.»

Nul doute que l’établissement lausannois a été un tremplin dans sa carrière. «J’ai rencontré des fabricants de films qui m’ont marqué à vie comme Ursula Meier. Je garde surtout en mémoire l’année propédeutique, de par la collaboration avec les autres disciplines. C’était très stimulant», avoue Tristan Aymon. Il a d’ailleurs conservé des contacts étroits avec de nombreux alumnis de sa volée.

Les mains dans le cambouis, je me suis rendu compte des enjeux liés à la production. J’ai un peu déchanté face à toutes ces règles.


Quand il crée le collectif Terrain Vague en 2012 avec d’autres talents romands, c’est cette aura qu’il veut réanimer. «On avait l’utopie de redonner vie à l’énergie créatrice que l’on retrouve dans une classe». Déçu par ses premières collaborations dans un milieu plus cloisonné que dans son imaginaire, il souhaitait aussi travailler en toute liberté. «Les mains dans le cambouis, je me suis rendu compte des enjeux liés à la production. J’ai un peu déchanté face à toutes ces règles.»

L’ère des formats hybrides

Pour le trentenaire, certaines d’entre elles méritent aujourd’hui d’être bousculées. A commencer par la tendance de la profession à dévaloriser les courts-métrages au profit des longs, souvent considérés comme l’aboutissement des projets cinématographiques. «En Suisse, les professionnels de la branche se désintéressent des formats courts car ils sont peu rentables, et souvent mal financés. Mais au final, c’est comme si une entreprise n’investissait pas en recherche et développement, c’est absurde et dommageable pour les cinéastes de demain», insiste Tristan Aymon.

Il ajoute qu’il ne faut pas sous-estimer ces formes car elles sont de plus en plus consommées, notamment sur les supports digitaux. «L’objet culturel du film standarisé d’1h30 va muter au profit de productions aux durées hybrides», prédit le Valaisan qui fait parti du collectif Pro-Short, une association pour promouvoir le court-métrage suisse. «Il faudrait pouvoir financer correctement n’importe quelle durée de film, et pas seulement les longs». A savoir que pour payer une équipe au complet en suivant les normes syndicales, le budget s’élève en moyenne à 150’000CHF pour une fiction de 15 minutes. «C’est difficile d’obtenir plus d’argent pour les courts-métrages car il existe des plafonds. Comment dès lors financer un film de 30 minutes ou plus sans faire de compromis ?  Peut-être faudrait-il s’orienter vers un financement qui se base sur sa qualité, la pertinence de la stratégie de diffusion, plutôt que sur sa durée?», lance-t-il.

Autre combat que le réalisateur prône activement avec les membres de l’AROPA – association romande de la production audiovisuelle – c’est celui face aux plateformes numériques. «Il faudrait que les canaux de diffusion type Netflix, UPC ou Swisscom TV soient obligés de réinvestir dans la production régionale, comme c’est déjà le cas dans certains pays, car ils se font beaucoup d’argent.» En France, Netflix et Amazon ont l’obligation d’investir 15 % de leur chiffre d’affaire dans la production locale ou européenne. Un chiffre qui devrait monter à 20-25%.  Pour Tristan Aymon, la Suisse doit se donner les moyens de générer sa propre culture cinématographique. «Sinon, on fera face à un réel appauvrissement. Et les produits anglo-saxons nous submergeront.»

Conscient que la diffusion dans une nation coupée en 4 langues complique la tâche, ce défenseur du 7ème art helvète insiste au nom de l’intégrité des artistes du terreau. «Même si c’est dur de fabriquer des films, c’est l’expérience la plus constructive que j’ai jamais ressentie!»


ECAL, le département cinéma en 2020

Année propédeudique:
10 étudiant.e.s

Filière Bachelor:
33 étudiant.e.s

Filière Master:
15 étudiant.e.s

Né en 1988, le département de cinéma est arrivé à un point de saturation en 2011. L’ECAL s’est donc inspirée de la Fémis à Paris, l’École nationale supérieure des métiers de l'image et du son. «On a décidé de proposer des spécialisations pour augmenter le nombre de techniciens du cinéma», explique Lionel Baier, réalisateur à la tête du département depuis dix-neuf ans. De nouvelles options ont émergé en écriture de scénario, montage, chef·fe opérateur·trice, ingénieur·e du son etc.