Librairies indépendantes, ces funambules de la crise

Numéro 66 – Juillet 2020

En Suisse romande, les librairies indépendantes sont sur la corde raide. Équilibristes sans balancier, elles ont traversé la crise due au Covid-19 avec ténacité. Le chapitre de l’après-confinement promet lui aussi son lot de défis.

Avant la crise, les géants de la vente en ligne type Amazon et eBay asphyxiaient déjà les petits commerçants du livre. Résistantes, les 70 librairies indépendantes de Suisse romande tiraient leur épingle du jeu avec des conseils personnalisés. «L’année 2020 avait commencé sous de très bons auspices», analysent trois d’entre elles. Le Covid-19 terrorise ensuite le marché, les obligeant à fermer boutique pendant deux mois. Les ventes chutent, parfois de près de 80%. Tous survivent en livrant à domicile. «Les gens ont pris conscience que nous assurions un service en continu, contrairement aux groupes qui ont fermé leurs entrepôts pour répondre aux normes sanitaires. Certaines structures ont aussi rencontré des problèmes de maintenance sur leur site internet», explique Nathalie Romanens, responsable chez Des livres et moi,à Martigny.

DES LIVRES ET MOI

Mars 2020. La librairie valaisanne est en pleine expansion. La gérante de l’échoppe confie qu’ils comptaient engager une nouvelle collaboratrice et un stagiaire. «Mais ça devra attendre la rentrée littéraire», précise Nathalie Romanens. Leurs perspectives ont été chamboulées. «Sans bonnes réserves, une entreprise ne se relève pas d’une crise comme celle que nous venons de vivre.» Ils organisent alors leur propre service de livraison. Plus de 300 colis ont été déposés dans les boîtes aux lettres. «Nos proches nous ont donné un coup de main.» Depuis le 11 mai, un parcours fléché guide les clients dans le commerce. «Au début, place à l’euphorie. Ils étaient ravis de bénéficier de conseils avisés.» Mais elle craint un retour au clic intuitif. «La majorité risque de ne pas changer sa façon de consommer. L’avenir reste très incertain.»

Atmosphère

Pour la plus petite librairie de Suisse romande, Atmosphère, à Genève, Claire Renaud a sillonné le canton dans sa Renault pour distribuer les sésames littéraires. «La presse a partagé cette aventure et j’ai gagné des clients», dit la gérante. Avec 400 livraisons au compteur, elle partageait «ses lectures contre la solitude». «Si j’avais eu des employés, je serais en faillite», confie-t-elle. Quant à la reprise, le 11 mai, elle lui reste en travers de la gorge. «Pourquoi ne pas avoir pu rouvrir le 27 avril? J’étais déjà prête à accueillir un client à la fois…» Ces onze jours de perte en mai pèsent sur son chiffre d’affaires. La libraire assiste heureusement à l’élan solidaire des Genevois qui achètent dans le quartier. «Le nouveau Dicker a été un vrai booste, mais je ne sais pas si ça va durer sur le long terme.»

Lieu: Martigny

Création: 2009

Nombre d’employés: 3

Pertes liées à la crise: environ 80% des ventes

Lieu: Genève

Création: 2016

Nombre d’employés: 1

Pertes liées à la crise: 80% des ventes

HumuS

Au centre de Lausanne se cache un magasin de niche que le libraire Michel Pennec enrichit de ses coups de cœur. Spécialisée dans la littérature érotique, japonaise ou la microédition, HumuS est loin des circuits traditionnels. «J’ai dû fermer boutique, mais je suis toujours resté à l’écoute de mes clients. J’ai même fait des livraisons à pied», raconte le gérant. Pour lui, cette période a été synonyme de manque à gagner. «J’ai eu la chance d’avoir des commandes institutionnelles en début d’année, alors ça a aidé les finances.» À contre-courant, il mise principalement sur le bouche à oreille pour écouler son stock. «Depuis le redémarrage, les habitués ont dépensé davantage et il y a des nouveaux venus», constate-t-il. Cependant, il redoute le présent, car «les réserves ont été épuisées».

Lieu: Lausanne

Création: 2010 (nouvelle formule)

Nombre d’employés: 1

Pertes liées à la crise: «Manque à gagner»