Supposons que la crise induite par le coronavirus n’ait été rien par rapport à la catastrophe climatique à venir: les experts scientifiques le savent et le répètent, et nos sociétés humaines l’ignorent de leur plein gré.

Supposons par conséquent que les appels au secours audibles ces dernières semaines en direction de «la culture» n’aient été pareillement rien dans le cadre de la crise coronavirale par rapport à ce qu’ils seront, ou ce qu’ils pourraient être, dans le cadre de ladite catastrophe climatique.

Or qu’avons-nous observé, ces dernières semaines, dans ces appels au secours entonnés par trois catégories de citoyens? Je veux dire les privés confinés chez eux, les artistes et les opérateurs en activité dans ce domaine – ces «professionnels de la profession», selon la jolie formule de Godard?

Eh bien ceci.

Chez les privés confinés chez eux, on vérifia le besoin de lutter contre le désarroi suscité par leur enfermement domiciliaire: il leur fallait s’évader non pas physiquement, bien sûr, puisque c’était interdit, mais au moins grâce aux représentations artistiques de toute espèce acheminées vers eux par des voies virtuelles.

Chez les artistes, on vérifia le besoin de continuer à façonner des œuvres, mais aussi celui de continuer à se faire exister, malgré les circonstances du moment, pour y cultiver leur cote et peut-être leur satisfaction narcissique. À cet égard, peu d’événements m’auront autant accablé, durant ces semaines pandémiques, que ces opérations de bien-pensance édifiante consistant à pousser la chansonnette à plusieurs par la grâce de Skype ou de Zoom…

Enfin, chez les opérateurs culturels, on vérifia le besoin de renseigner l’opinion publique et surtout politique sur la fragilité financière de leur secteur – comme le fit GastroSuisse, par exemple, l’instance faîtière à l’œuvre dans l’univers de la restauration, qui ne cessa de vouloir infléchir les options sanitaires décidées par le Conseil fédéral.

Conclusion: la part de la culture qu’on aura le moins aperçue, dans ce paysage-là, est celle qui ne relève ni de l’ordre délassant ou divertissant, ni de l’ordre créateur ou fabricant, ni de l’ordre économique ou pécuniaire, mais de cet ordre qu’on pourrait qualifier d’intériorisant.

De cet ordre qui pousse et conduit les êtres à la réflexion, voire à la méditation du monde tel qu’il va, et surtout tel qu’il ne va pas depuis quelques décennies sur d’innombrables plans – celui de l’équité sociale, celui de la gouvernance, celui de l’environnement et précisément celui du climat. De cet ordre, autrement dit, d’où pourrait naître la subversion des pratiques humaines qui sont insuffisantes ou fautives en tous ces domaines.

Bien sûr, le livre, si propice aux maturations décisives de ses lecteurs, à l’inverse de maintes manifestations récréatives du Spectacle (avec s majuscule) désigné par Guy Debord comme l’aliénation sommitale de notre époque, aura fait l’objet de ventes en ligne soutenues de février jusqu’à la fin d’avril. C’est bien. C’est peu. Encore un virus, peut-être?