Chercher et se transformer pour pouvoir à nouveau créer

Numéro 70 – Juin 2021

Revenu minimum à Zurich, aide forfaitaire en Valais ou bourses de recherche et développement un peu partout dans le pays, depuis mars 2020, les artistes suisses sont diversement soutenu·e·s, mais créent envers et contre tout.

« Je suis tellement heureuse d’avoir pu montrer « Vocation » avec Nora Kramer et Pierre Mifsud en avril 2021 au Théâtre de Vidy », confesse Émilie Charriot, metteuse en scène et comédienne. Elle qui a osé la douceur pour parler de l’état du monde aimerait que cela soit une note d’espoir pour l’avenir, notamment pour les arts de la scène. En raison de la pandémie, sa précédente première pour « Outrage au public » de Peter Handke a été annulée en mars 2020, puis plusieurs fois reportée avant de pouvoir être remontée. Pour Émilie Charriot, l’annonce de la fermeture des théâtres a été très violente comme elle l’a été pour tous les créateurs·trices et les soubresauts suivants l’ont épuisée. Elle a pu néanmoins poursuivre son travail de recherche en préparant « Vocation » avec ses deux comédien et comédienne.  « Le théâtre est un appel, d’où l’idée de « Vocation », mais c’est avant tout pour moi un endroit où exister ».

Concrètement représenté par la scène, ce lieu d’existence est donc aussi celui de la recherche pour beaucoup de créateurs·trices des arts vivants. D’où l’idée des projets de transformations et des bourses de recherche et de développement, proposée par plusieurs cantons - dont le canton de Vaud (voir ci-dessous l’interview de la Conseillère d’Etat vaudoise chargée de la culture Cesla Amarelle) dans la droite ligne du dernier message confédéral d’encouragement à la culture qui souligne : « Il n’y a encore que trop peu de possibilités de financer des recherches approfondies en vue de nouvelles œuvres ou des répétitions pour reprendre des œuvres à succès. ».

 Les artistes ont besoin de pouvoir sortir des sentiers de la productivité à tout prix et avoir du temps pour pouvoir mieux nourrir leur créativité. 

La chorégraphe Jasmine Morand en est convaincue, il faut développer l’aspect recherche dans le soutien aux artistes. Elle-même a bénéficié d’une bourse de recherche du canton de Vaud et s’en réjouit. « Ce souci de recherche était sous-jacent avant la pandémie. Les artistes ont besoin de pouvoir sortir des sentiers de la productivité à tout prix et avoir du temps pour pouvoir mieux nourrir leur créativité. » Ce n’est pas le comédien Antonio Troilo qui démentira. Lui aussi bénéficiaire d’une bourse, il souhaite créer une partition personnelle. « J’aimerais construire ma propre boîte à idée dans laquelle je pourrais aller piocher pour mettre au jour mon univers. Je me fixe un mois environ pour y parvenir. Je dois en faire un rapport en fin d’année. Ce que je trouve normal car comme tout citoyen soutenu par l’Etat, je me sens redevable de l’aide que l’on m’accorde. »


Donner du temps et de l’argent

Dans le canton de Vaud, sur les 65 millions de francs cofinancés depuis le printemps 2020 avec Berne, 6 millions sont destinés à l’octroi de plusieurs centaines de bourses de recherche et de développement. Interview de Cesla Amarelle, Conseillère d’État, Cheffe du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture du Canton de Vaud.

Comment est née l’idée de ces bourses de recherches ?

Au cours du deuxième confinement, j’ai eu l’occasion d’entrer en dialogue avec de nombreux acteurs et actrices culturel·le·s du canton qui ont pu me décrire leur situation au quotidien. Avec mes équipes, nous avons décidé de mettre en place ces mesures de soutien qui s’adressaient directement à des artistes qui passent un peu entre les mailles du filet. Il faut se rappeler que les secondes mesures de soutien destinées au monde de la culture et élaborées par la Confédération étaient prioritairement consacrées aux entreprises culturelles : ce sont elles les principales pourvoyeuses d’emploi dans la culture et elles jouent un rôle prépondérant dans le tissu culturel du pays. Les acteurs et actrices culturel·le·s pouvaient adresser des demandes à une structure dédiée (Suisseculture Sociale).

Comment en avez-vous pensé les critères ?

Il s’agit de critères à la fois simples et objectifs. Les personnes qui ont déposé leur demande devaient justifier leur activité artistique comme étant leur principale source de revenu et prouver qu’elles résidaient dans le canton. Le but de ces bourses consiste vraiment à soutenir leur activité et leur statut d’artiste dans cette période très dure pour la culture. Il s’agit d’une mesure qui vise à soutenir les actrices et acteurs culturels de manière à ce qu’ils puissent continuer à développer leur recherche artistique et travailler dans leur domaine de compétences afin que leur carrière ne soit pas trop péjorée par la crise sanitaire et économique. Nous avons pu ainsi soutenir près de 500 artistes dans ce moment difficile.

Avez-vous observé ce qui se passait dans d’autres cantons ?

Tout s’est fait très rapidement. Nous avons évidemment gardé un œil sur les pratiques développées par les autres cantons à l’instar de Zurich qui a mis en place un salaire forfaitaire pour un trimestre ou le Valais qui a lui aussi mis en place en un temps record des mesures d’aide ciblées destinées aux acteurs et actrices culturel·le·s.

Et comment avez-vous différencié les projets de transformation ?

Le soutien aux projets de transformation fait partie des mesures développées par la Confédération et les cantons de manière paritaire. Ce soutien aux projets de transformation s’adresse exclusivement aux entreprises culturelles afin de soutenir des projets futurs, contrairement aux indemnisations qui couvrent les pertes subies liées aux restrictions motivées par la situation sanitaire. Il ne s’agit donc pas du tout des mêmes soutiens. Les projets de transformation doivent permettre aux entreprises culturelles d’adapter leurs activités aux nouvelles circonstances liées à l’épidémie de COVID-19 afin d’assurer leur pérennité. L’objectif de ce dispositif est d’accompagner les entreprises culturelles qui s’adaptent et se réorientent selon deux principes : la réorientation structurelle des entreprises et le gain de public (reconquête ou acquisition de nouveaux publics).

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En chiffres

La culture fait l’objet de mesures particulières de la part de la Confédération. Elles viennent s’ajouter aux aides accordées au secteur économique en général – allocations pour perte de gain (APG) et réduction de l’horaire de travail (RHT) essentiellement. L’année dernière quelque 280 millions ont été répartis entre les cantons qui sont eux astreints de traiter les demandes de soutien des acteurs·trices et organisations culturel·le·s de leur canton, empêché·e·s de travailler en raison du Coronavirus en contribuant à raison d’un franc pour chaque franc attribué par Berne. 130 millions s’y ajoutent pour 2021.