image de synthèse du projet de la Cité de la musique ©DR

Recto / Verso: La Cité de la musique

Numéro 70 – Juin 2021

Le 13 juin, la population genevoise sera appelée aux urnes pour dire si elle accepte ou non la construction de la Cité de la musique. Un projet qui divise, autant les milieux culturels que les partis politiques sur des questions de citoyenneté et de politique culturelle. Culture Enjeu donne la parole à deux acteurs pour défendre leur opinion.

Pour: Olivier Gurtner, chef de groupe PS au conseil municipal de la Ville de Genève

Pourquoi selon-vous, le projet de la Cité de la Musique est-il nécessaire pour Genève aujourd’hui ?

Il s’agit d’un projet culturel, local et éco-responsable. Issu d’un concours, ce projet architectural et paysager se destine aux acteurs et actrices culturel·le·s de la région, à savoir la Haute école de musique (rattachée au réseau HES-SO) à l’Orchestre de la Suisse Romande (fondé par le Veveysan Ernest Ansermet) et les acteurs culturels de la musique. Sur le plan écologique, la Cité de la musique compte de nombreux avantages, notamment sa desserte en transports publics (Léman Express, Trams, Bus) et en mobilité douce, son label haute performance énergétique et son plan de compensation d’arbre (2 plantés pour 1 abattu). Mais le plus important, c’est l’infrastructure moderne et adaptée pour les concerts d’aujourd’hui, avec une grande salle de qualité et des espaces d’accueil et de médiation. Aujourd’hui, la pédagogie et les actions culturelles sont indispensable pour rapprocher l’art des publics.

Prend-il en compte les besoins de tout le secteur musical ou aurait-il tendance à s’adresser en priorité au milieu de la musique classique comme l’affirment les opposant·e·s ?

Avec une grande salle et une black box, la Cité de la musique veut accueillir autant les œuvres nécessitant d’importantes formations orchestrales que les formats plus petits ou expérimentaux. Il est essentiel de rappeler qu’il s’agit de répertoire autant que de création, et que celle-ci a besoin de moyens pour tester, essayer et se révéler. C’est particulièrement vrai pour la musique contemporaine, qu’on imagine difficilement au Victoria Hall. Ce genre musical est d’ailleurs fort à Genève, avec l’ensemble Contrechamps, la filière de composition à la HEM, les commandes et enfin le Concours de Genève, qui organise tous les deux ans une compétition de composition. La Cité de la musique est une formidable scène sur le plan technique et donc sur le plan des possibilités artistiques.

Dans un contexte où les milieux culturels sont mis à rude épreuve par la pandémie du Covid-19, n’y a-t-il pas des besoins plus urgents à couvrir de la part des collectivités pour la scène musicale genevoise ?

La pandémie a très durement frappé les actrice·eur·s culturel·le·s, en particulier les indépendant·e·s, les créateurs·trices mais aussi les technicien·ne·s freelance, qu’on a trop tendance à oublier. En l’occurrence, la construction de cette Cité sera très majoritairement assurée par la Fondation Hans Wilsdorf, la même qui finance L’Abri, lieu de répétitions et d’enregistrement ouvert à tous les acteurs de la scène. Enfin, il s’agit d’un budget de construction –donc d’investissement– qui n’a aucun impact sur les subventions culturelles, ce qui a été confirmé par la Ville de Genève.


Contre: Raphaël Ortis, musicien indépendant genevois

En quoi est-ce que la Cité de la Musique représente un obstacle selon vous pour un meilleur soutien de la scène musicale genevoise ?

L’enjeu ne date pas d’hier. On assiste depuis une vingtaine d’années au renforcement de la pression des milieux de l’immobilier sur la politique qui a mené à l’évacuation, la fermeture et la réhabilitation de tous les lieux dits « alternatifs » comme le Rhino ou Artamis pour ne citer que les plus emblématiques. Le fait que les espaces de création « libres » se réduisent, entraine une rupture du tissu social. C’est toute une tranche de la culture qui peine progressivement à retrouver sa place et à obtenir des financements adéquats. La répartition des subventions incarne aussi ce déséquilibre. (19,8 millions par an pour l’OSR contre 150 000 chf pour musiques de création et émergentes). Le canton compte investir une part de subvention dans la programmation de La Cité de la Musique. S’il n’est pas possible de faire entendre qu’il faut redoter le fonds ponctuel d’aide à la musique de création à la hauteur de ce qu’il devrait être, nous espérons pouvoir faire passer l’idée qu’il ne faut pas rajouter là où il y déjà beaucoup.

Ce referendum ne viendrait-il pas opposer les intérêts de la musique de création et ceux de la musique de patrimoine ? Ne craignez-vous pas une fragilisation des deux ?

Il ne s’agit pas d’opposer les musiques. C’est le projet, qui est un projet immobilier, qui fait réagir et cela de manière plus large que les milieux musicaux. Le comité référendaire est composé de plusieurs associations du côté du patrimoine et de l’environnement. musicienmuqui P<PPar ailleurs, tous·tes les musicien·ne·s classiques ne sont pas en faveur du projet de la même manière que tous·tes les musicien·ne·s de création, pour les définir ainsi, n’y sont pas opposé·e·s. Nous entendons bien l’enjeu de la vétusté des locaux de la HEM ou le besoin d’une meilleure capacité d’accueil pour un ensemble philarmonique. Seulement tout regrouper dans un seul et même bâtiment et contexte de création et d’expression, n’est pas la solution et revient à figer dans le temps la proposition qui va perdurer à l’image du Victoria Hall, du Grand Théâtre ou encore de Palexpo. D’autre part, la localisation du projet, son échelle et ce qu’il incarne, correspond à la promotion d’une idéologie que je ne défends pas en tant que citoyen avant tout.

En cas de non-aboutissement du projet, les autorités assurent que cet argent n’ira pourtant pas ailleurs. Le débat de fond tenu par la FGMC sur la répartition des budgets subsiste. Quelles sont vos attentes ?

J’aimerais que l’on puisse se concerter à nouveau à propos des enjeux et des espaces de création afin de retrouver ce foisonnement et cette multitude d’expressions qui caractérisent le milieu musical genevois. Rester sur de plus petits éléments, privilégier la rénovation, réinvestir les lieux existants…Cela réduit les coûts et permet de redistribuer plus justement les moyens tels qu’ils sont à la culture.