« J’aurais voulu être un artiste ! » déclamait le businessman dans son blues, à l’aube des années 80. Un refrain dont l’assurance contagieuse fait sans doute place aujourd’hui à une certaine désillusion, tant en raison du statut romancé et convoité de l’artiste, que dans la réalisation de son œuvre. Alors que l’image de l’artiste « fauché·e·s » mais libre, continue d’alimenter les fantasmes sur les dispositions à créer, les rétributions et les mesures d’aides évoluent. L’idée d’un revenu de base inconditionnel culturel est de plus en plus envisagée dans certains cantons, des bourses de recherches artistiques se mettent rapidement en place et voient leurs enveloppes doubler pour pallier les difficultés financières dues à l’impossibilité de se produire, diffuser ses œuvres et en gagner les fruits. Si la question de comment soutenir les artistes à long terme reste ouverte, ces dispositions de la part des autorités publiques sont le signe d’une reconnaissance de leur travail. Car il s’agit avant tout de soutenir, au sens d’encourager et de maintenir en marche l’esprit de celles et ceux qui créent pour nous nourrir l’esprit à leur tour et dont nous avons inconditionnellement besoin.

Après les fameux « essentiel » et « non-essentiel », se sont désormais les « obligatoire » et « pas-obligatoire » qui donnent le ton. Là où le choix impose sa loi, une nouvelle hiérarchie s’opère entre secteurs. Des espaces de libertés et de partage résistent, bien qu’au fait des risques financiers qu’entrainerait cette fronde, craignant de voir cette nouvelle norme sociale s’imposer et durer.

Mais pour l’heure, place aux retrouvailles avec les œuvres ! L’inédite, la déjà vue, la fragile, la manquée à la dernière ouverture, la compliquée, la vulgaire, la « coup de poing » et la « coup de cœur ». Toutes ces créations qui ne demandent qu’à être montrées et discutées, s’engagent en même temps sur la voie pour retrouver leurs publics et leurs lieux. Après quasiment une année de fermeture accumulée, on le sait, on s’en doute, même avec le renfort inexorable du numérique - sacrilège pour les un·e·s, accroissement pour les autres -  il n’y aura pas de place pour tout, et tout le monde ne pourra pas tout voir. Mais le foisonnement artistique et les envies demeurent, et les réflexions et les solutions ne manquent pas.

Pour évoquer le paradoxe de l’embouteillage et du vide, CULTURE ENJEU a sollicité les photographes Agathe Zaerpour et Philippine Chaumont. Formé en 2016, le duo attache une importance au rapport que forment les images entre elles et à la narration qui en résulte. Dans le cadre d’un workshop qu’elles ont mené avec une classe de la Zürcher Hochscule der Künste (ZHdK), elles ont travaillé sur le thème de la séquence et de la série. Les étudiant·e·s étaient ainsi amené·e·s à donner leur interprétation de la surcharge de la scène culturelle. Une scène dans laquelle ils et elles s’apprêtent aussi à entrer et à se faire une place.

Des images qui se chevauchent et qui existent singulièrement agrémentent ce numéro d’été, certes un peu criard, mais qui a dit qu’il fallait se taire ?