Initiés en été 2020, à un moment où l’on ne pensait pas que la crise allait durer, puis entérinés par la Loi Covid-19 adoptée le 26 septembre, ces fonds de transformation se présentent comme un remède pour sortir la culture de l’impasse et redynamiser le secteur. Une opération, coordonnée par tous les cantons romands et visant à informer les milieux culturels sur les modalités de ce dispositif, a été confiée à Culture Valais. Rencontre avec son directeur, JEAN-PIERRE PRALONG.

La transformation est-elle la seule issue pour envisager la suite ?

Durant cette année, les gens ont pu faire la synthèse des avantages et des inconvénients amenés par les rencontres numériques et se retrouvent à repenser leur modèle. Non pas nécessairement pour le changer entièrement mais pour envisager des synergies, des compléments et des consolidations. D’ailleurs, plu- sieurs personnes qui nous contactent n’ont qu’une envie, c’est de pouvoir continuer à faire comme avant et à juste titre, parce que leur concept de festival ou de théâtre continue de faire du sens mais ils souhaitent pouvoir lui donner plus de moyens en professionnalisant certains postes par exemple. Plus la crise dure, plus elle renforce certains formats qui existaient et qui fonctionnaient très bien ainsi. On peut choisir de changer partiellement, progressivement ou s’engager dans une transformation totale. Je n’ai d’ailleurs pas connaissance d’autres domaines qui mettent en place un tel outil et offrent autant de flexibilité. Il existe les cas de rigueur mais pas cette possibilité de créer à nouveau en quelque sorte.

Ces changements peuvent-ils être pensés dans l’urgence ?

Parfois le changement est une nécessité directement liée au COVID-19, dû à un empêchement évident de pouvoir faire un certain nombre de choses. Tandis que pour d’autres, la réflexion était déjà entamée et ces fonds répondent à un besoin de changement qui n’a fait qu’être réactivé et confirmé par la crise.

Avec ces fonds, c’est une manière de retrouver une vitalité et de contribuer à la relance ?

Au-delà des projets de transformation, il y a bien sûr l’enjeu de la relance. Pour remonter en puissance cela prend des mois. Il faut donc que les autorités politiques et administratives considèrent la relance, non pas aussi simplement que ce cela a été fait l’été dernier et où l’on a subitement interrompu les aides aux gens alors qu’ils n’avaient pas retrouvé leur clientèle ou leur public. Cela peut se faire en diminuant par exemple progressivement les RHT ou en donnant l’accès à des fonds qui viendraient compenser la remontée des revenus. Dans ces cas-là, il ne s’agit pas des fonds de transformation mais d’un accompagnement pour la remise en place, du moment que les choses iront mieux à partir, on l’espère, de cet été ou même cet automne. Les projets de trans- formation interviennent eux à un moment bien particulier et sont un moyen supplémentaire pour développer son projet en envisageant par exemple d’atteindre de nouveaux publics.

Un public qui a pris de nouvelles habitudes et avec qui il convient de renouer. La transformation tend elle indéniablement vers la numérisation ?

Il y a cette tendance forte mais cela reste une option comme une autre. Digitaliser pour digitaliser ne sert à rien. Il faut évidemment que le projet puisse garder un sens. Un théâtre peut tout à fait envisager des formats hybrides dans un rapport intelligent au virtuel, sans pour autant mettre de côté la dimension sur place en présence d’un public. Dans le cas d’un musée dont l’approche repose beaucoup sur le rapport parfois même tactile à l’objet, cela ne s’y prêterait pas nécessairement. Cela peut même être un parti pris de ne pas vouloir digitaliser. D’autant plus dans un monde où on est noyé d’images et d’écrans et dont on fait une overdose. Je suis le premier à me réjouir de retourner dans une salle de cinéma et de revoir un spectacle vivant.

Dans ces workshops*, où étaient invités des consultants pour start-ups ou entreprises en difficulté, il a notamment beaucoup été question d’agilité et de viabilité. Le milieu culturel aurait-il tendance à ne pas envisager un modèle viable ?

Toute entreprise culturelle, et c’est là le terme officiel pour qualifier les structures éligibles pour les fonds de transformation, répond d’une manière ou d’une autre à un « modèle d’affaires ». Le COVID-19 a mis entre autres une forte pression sur ce modèle et ce dans tous les secteurs. La question du financement dans son ensemble demande à être repensée. Les pouvoirs publics vont être en difficulté, les recettes propres ont également été mises à mal. Lors de la première vague, beaucoup d’évè-nements et d’artistes ont cherché à rester en lien avec leur public en proposant des alternatives numériques, faute de rassemblement. Ceci ne leur ayant pour la plu- part rien rapporté car la performance n’était pas monétisée. L’intérêt de ces workshops était de pouvoir discuter et envisager les différentes façons de se faire financer sans remettre en question l’idée selon laquelle la culture a une raison d’être au-delà des aspects économiques. Je pense au contraire, que beaucoup d’acteurs·trices culturel·le·s sont prêt·e·s à revoir leur modèle s’il le faut et pour autant que cela fasse du sens encore une fois.

Digitaliser pour digitaliser ne sert à rien

Jean-Pierre Pralong

Dans cette idée de synergies et de compétences mutualisées, que pensez-vous que le monde de la culture a lui-même à apporter aux autres secteurs professionnels ?

Ce qu’elle sait si bien faire au quotidien, dans sa capacité à créer, à surprendre sur la manière de voir le monde et les sujets de société. Souvent les artistes sentent les choses et voient un peu plus loin. Si on pouvait les entendre et les écouter pour penser la suite, ce serait bénéfique pour l’ensemble de la société. Ce virus questionne finalement beaucoup le rapport de l’humain à la nature et notre façon de vivre et d’utiliser cette planète. Et les artistes savent s’emparer de ces questions et les communiquer. J’espère que ces projets de transformation, avec toutes les synergies qu’ils impliquent, vont permettre de réunir des domaines qui n’auraient pas eu l’envie ou l’occasion de travailler ensemble auparavant. C’est l’idée qui est d’ailleurs à l’origine de Culture Valais : créer des ponts. Mettre en réseau le monde de la culture entre ses différents acteurs mais également l’ouvrir aux autres champs tels que par exemple la science, la technologie, l’économie, le tourisme et stimuler les échanges de pratiques et de savoir.

* vidéos disponibles ici


Créée en 2010, Culture Valais est une association initiée par l’État du Valais et l’Union des villes valaisannes pour défendre et promouvoir la reconnaissance de l’activité artistique professionnelle à l’intérieur comme à l’extérieur du can- ton. En mars 2020, Culture Valais met en place la hotline « Covid culture » et a répondu depuis à près de 1 000 demandes sur des questions d’ordre sanitaire, économique et juridique.