La musique en permaculture, un modèle à réfléchir

Numéro 69 – Mars 2021

La musique peut-elle adoucir les moeurs consuméristes et aller vers la décroissance en proposant d’autres modes de faire ? Les batteur·e·s BÉATRICE GRAF et GRÉGOIRE QUARTIER en sont convaincus. L’été dernier, SLOW, leur festival écologique et itinérant, l’a démontré.  

« Chi va piano, va sano ; chi va sano, va bene ; chi va bene, va lontano. » Vieux comme un temps où la nature respirait encore à plein poumons, l’adage d’origine italienne met en évidence la valeur de la lenteur pour asseoir une réflexion approfondie sur les changements à initier pour entrer dans une culture durable. Avec SLOW, festival hors murs, écologique et itinérant dont la première édition a eu lieu en été 2020, la Genevoise Béatrice Graf et le Fribourgeois Grégoire Quartier, deux batteur·e·s activistes culturel·le·s ont convoqué une musique circulaire, avec le moins de déchets possibles.

« Nous les artistes vivons en plein paradoxe : notre connaissance approfondie et sensible de la planète nous rends attentifs aux enjeux vitaux et nous sillonnons la planète en avion pour nous produire par ci, par là. Certes, c’est pour exercer notre métier, mais c’est le même CO2 qui est lâché. L’urgence climatique est extrême : tous les combats qu’on peut mener n’ont aucun sens si nous perdons celui-ci. » La prise de position est affirmée. Issue du long parcours écologique de Béatrice Graf qui s’engage particulièrement dans sa ville. Elle s’élève notamment contre le projet d’une grande Cité de la musique à Genève qui, selon elle, est une menace écologique et humaine – abattage de 130 arbres et asséchement des subventions pour les petites structures.

En 2019, la batteure rappelait l’urgence d’agir en préambule de son « Cycloton », un tour de Suisse à vélo. Grâce au cyclotone de Bernhard Zitz, un système de sonorisation autonome alimenté par l’énergie humaine créée en pédalant, elle a donné une dizaine de concerts entre Carouge (GE) et Fribourg en passant par Zürich. Le festival SLOW, qui incluait conférences, tables rondes et ateliers s’est inspiré de cette première expérience. Les spectateurs·trices venu·e·s assister aux concerts étaient invité·e·s à pédaler pour assurer la sonorisation. Un moment intense, apte à faire ressentir corporellement toute la volonté nécessaire à faire émerger une culture durable.

NOUVELLES VOIES ARTISTIQUES

« Je développe depuis près de vingt ans une pratique en extérieur. Il faut créer de nouvelles voies artistiques minimisant l’empreinte carbone », rappelle Béatrice Graf. Si elle admet que la transition et la transformation de l’écosystème de la culture ne peut se faire du jour au lendemain, elle pousse néanmoins à changer ses paradigmes. Un message que l’artiste genevoise porte en militante jusque dans les médias romands où son appel à réduire la taille des grands festivals n’est pas passé inaperçu. « Les dinosaures n’ont-ils pas disparu parce qu’ils étaient trop gros ? », a-t-elle décoché. « C’est Grégoire Quartier, avec qui j’ai coorganisé SLOW, qui m’avait soufflé cette question… » Ce dernier, musicien bien sûr, mais aussi co-fondateur du groupe Facebook « La collapso heureuse » qui réunit près de 30 000 membres et traite d’écologie et de philosophie, veut donner du sens aux actions artistiques qu’il mène. Aujourd’hui père au foyer et artiste, il se profile encore plus radical pour imaginer la musique du futur.

LA PERMACULTURE COMME MODÈLE

« J’ai une vision d’une culture inspirée de la permaculture. Je ne milite pas pour que tout le monde soit mormon et ne joue plus de guitare électrique. L’électricité peut être renouvelable (ou pas). Ce qui coûte le plus cher à un concert, en termes d’énergie et de pollution, c’est aussi le transport, et le fait de jouer dans des salles avec technicien ·ne·s et frais fixes de fonctionnement qui encouragent la recherche de rentabilité avant l’aspect culturel. Si on faisait des spectacles dans des bâtiments mobiles, avec des technologies low tech et du savoir-faire valorisé, dans le but de faire passer un message qui augmente la prise de conscience, on avancerait plus vite. » Selon lui, il faut s’inspirer de la fameuse fleur à sept pétales de la permaculture où tous les aspects d’un écosystème sont pris en compte. « On devrait réfléchir de manière interconnectée, et donc poser un jugement sur la globalité de nos actions », ajoute-t-il.

En janvier dernier, la première Rencontre des Musiques de Création, organisée par la Fédération Genevoise des Musiques de Création, mettait en évidence la variété et la disparité des parcours et des aspirations des musiciens d’aujourd’hui. Invitée d’une table ronde, Laurence Desarzens, vice-présidente de Swiss Music Export, présidente du Jury Prix Suisse de Musique et présidente du Festival Les Créatives à Genève, expliquait qu’il n’était pas si facile de renoncer aux tournées internationales même si la pandémie a obligé les artistes à rester chez eux.

« Nous sommes dans un petit pays, les musicien ·ne·s doivent aller ailleurs pour exister alors que beaucoup d’artistes viennent nous voir de l’étranger. On s’enrichit les un·e·s et les autres de ses échanges. D’ailleurs les Suisse·sse·s se font souvent apprécier à l’étranger avant de l’être ici. »

Entre rayonnement de la culture et envie d’une culture durable, les opinions se confrontent. « Les tournées internationales pourraient être le fait du partage de la virtuosité, donc rare, et pas une manière de servir le soft-power de la Suisse », nuance Grégoire Quartier.

Aujourd’hui, de plus en plus touchés par la précarité, les musiciens tentent d’abord de survivre. Pour l’activiste fribourgeois, il faudrait s’inspirer des paiements directs donnés à l’agriculture pour la reconversion en bio. « On pourrait subventionner des artistes qui feraient la promotion de la transition écologique, dans la forme et le fond de leur musique. Le business ne serait pas empêché, et cela encouragerait toutes celles et ceux qui veulent faire avancer la transition écologique, créant du coup une sorte de ‹ normalité › culturelle de la transition. »