Elisabeth Jobin et Yann Chateigné (éd.), Almanach ECART. Une archive collective, 1969–2019, collection CAT. Recherche, paru en décembre 2019 Photo : ©HEAD-Baptiste Coulon

Le plaisir de jouer entre les lignes

Numéro 67 – Septembre 2020

Avec le « XXaf », festival d’événements originaux entre août et novembre 2020, le collectif art&fiction célèbre les 20 ans d’une aventure éditoriale qui documente de manière kaléidoscopique le travail de plasticiens dans le domaine de l’écrit et du livre.

Quitter la solitude de l’atelier pour entamer une conversation multiforme qui se poursuit encore aujourd’hui, telle était la volonté des cofondateurs d’art&fiction, Stéphane Fretz et Christian Pellet en l’an 2000. Ces deux artistes peintres devenus éditeurs dans un élan créatif novateur ont fait émerger près de 350 titres d’auteur·e·s dans des formats variés et des positions diverses. Dès leurs premières publications, souvent imprimées et reliées à la main, ils réfléchissent aux échanges et aux liens à réaliser entre arts plastiques, histoire de l’art et narration, la forme du livre constituant leur terrain de jeux. Aujourd’hui, leur maison d’édition installée dans un atelier à Lau­san­ne et un bureau à Genève se porte plutôt très bien : elle vient de rece­voir la « Goldene Letter » 2020, Prix du plus beau livre du monde, à la dernière Foire de Leipzig pour ECART. Une archive collective, 1969-2019 coédité avec la HEAD – Haute école d’art de Genève. Précédemment, Laurence Boissier, l’une de ses auteur·e·s – en passe de devenir l’écrivaine préférée des Romands – a été lauréate d’un Prix suisse de littérature 2017 pour Inventaire des lieux paru dans la collection Re:Pacific en 2015. 

« Etre un éditeur qui a eu de tels prix en grand écart entre le livre d’art et la littérature est hallucinant », s’enthousiasme Stéphane Fretz qui se réjouit de la reconnaissance obtenue jusque dans des contrées lointaines comme le Japon ou simplement européennes telle la Hollande, des pays où des collectionneurs ont achetés ECART, dès lors épuisé, mais en voie de retirage. « Ce qui nous caractérise, c’est la diversi­fication des deux pôles que l’on réunit. Les prix obtenus en sont la manifestation extrême », relève plus calmement Christian Pellet. Les deux hommes se sont rencontrés lors d’une performance théâtrale à laquelle participait également Jean-Marc Diébold, directeur du Centre Culturel Suisse à Paris. Le festival XXaf s’y conclura en novembre avec une performance d’un quintet d’auteur·e·s parisien·ne·s et celle des jumelles valaisannes Patricia et Marie-France Martin. 

« Nous sommes tous les deux curieux et en effervescence permanente », confesse Christian Pellet qui met aussi en exergue leur désir originel de glisser une voix singulière parmi les éditeurs d’art, celle qui aurait son mot à dire dans le champ littéraire aussi. 

Une variété et une diversité qu’ils continuent à défendre quitte à inventer, pour les faire exister, des dispositifs insolites, des collections et des collectionneurs fictifs, des bibliothèques itinérantes ou inaccessibles. Vingt ans d’activité foisonnante que les deux éditeurs, entourés d’un comité de sélection de huit personnes et secondés par Véronique Pittori et Marie Pittet pour en faire l’inventaire, voulaient marquer dans une fête étirée intitulée XXaf : « le Festival qui n’aura lieu qu’une seule fois, mais… vingt fois. »


De gauche à droite, Christian Pellet, Olivier Christinat, Stéphane Fretz et Stéphane Zaech. Document (d’après une peinture de V. Hammerschøi), 2002, photo : © Olivier Christinat

XXaf en vrac

90 artistes, auteur·e·s y collaborent et 13 lieux, musées, librairies,  cinéma ou Salon du livre de Genève sont les partenaires de la manifestation imaginée par les éditeurs qui veulent réactiver leurs publications en les hissant hors du catalogue. Des créatrices et créateurs ont été invités à devenir des interpré­ta­teur·trice·s des livres, piochant leur matière et matériaux dans les archives. On pourra voir leurs œuvres inédites exposées ou performées dans toute la Suisse romande, plus particulièrement à Lausanne, mais aussi à Genève et en Valais, et même à Paris. Avec entre autres, dans une vitrine de la Librairie Payot à Lausanne, une exposition d’un schéma tentaculaire de l’artiste Nathalie Perrin qui se réfère à la publication N° 1 du catalogue et à un ouvrage à paraître réunissant, par-delà deux décennies, leurs auteurs respectifs Christian Pellet et Stéphane Fretz alias Philippe Lipcare. Ou encore David Gagnebin-de Bons et Amandine Oricheta qui donnent à voir des images en ligne choisies en relation avec « Inventaires des lieux » sur b827eb958487.org et un dispositif à découvrir dans
les locaux d’art&fiction, situés avenue de France 16 à Lausanne.

« Nous jouissons du présent, entièrement tournés vers l’avenir, souligne Christian Pellet. Fêter cet anniversaire est l’occasion de rappeler que l’on existe tout en profitant de lancer des projets », alors que Stéphane Fretz note qu’il a bien envie d’en garder une trace. « On va certainement publier quelque chose qui sera de l’ordre de notre vie, notre œuvre. »

Ou l’art de travailler sérieusement sans se prendre au sérieux : une autre constante de cette croisière éditoriale hors normes qui pourrait bien se prolonger encore vingt ans, tant les projets sont nombreux soutenus par des souscripteurs, membres de l’Association art&fiction. Il y aura cet atlas des langues conçu par Julia Sorensen, associée à Frédéric Dumont, ainsi qu’un travail sur le disque imaginé par Alexandre Loye, Rodolphe Petit et Francesco Biamonte. Christian Pellet rejoint l’équipe éditoriale à plein temps pour initier une nou­velle collection inspirée par le portrait. De son côté, Stéphane Fretz termine un projet personnel d’une série de textes sur l’art. 

XXaf. Jusqu’au 21 novembre 2020. www.artfiction.ch/xxaf