COVID-19, confinement, fermeture des commerces non essentiels, explosion de la vente de papier­toilette. Et les livres ? Eh bien quoi, les livres ? Ce n’est pas un bien de première nécessité, nous dit-on. Les libraires sont des marchands de papier, les éditeurs font leur beurre du développement personnel et de la cuisine moléculaire. Tous ces gens sont des commerçants. Bien sûr, il y a la littérature, mais ce n’est pas ça qui fait le chiffre. Et donc, les coiffeurs pourront rouvrir, mais les librairies, non. Les maisons d’édition peuvent publier, mais pas pro­mouvoir ni distribuer. Et pas question qu’on les aide à passer le pas. Parce que les livres ne sont pas des biens de première nécessité. 

Ce n’est pas ce qu’on pense à Berlin ou Paris : là-bas, les livres ont la réputation de contribuer à l’essence de la population. La culture, là-bas, ce n’est pas seulement les opéras du 17e, c’est aussi les histoires des voisins de palier, les minuscules tragédies des personnes isolées par le confinement, c’est toutes ces choses bien contemporaines que les livres racontent. Et donc, les livres, et celles et ceux qui les font – les écrivent, les éditent, les publient et les vendent – font partie des biens essentiels à la survie de la population, au même titre que les coiffeurs. À Berlin, les librairies ont été parmi les premiers commerces à rouvrir. À Paris, les pouvoirs publics ont dégagé des millions pour aider les maisons d’édition à publier et à distribuer. De la cuisine moléculaire, certes, mais aussi de la littérature, ce bien culturel dont les Français sont si fiers parce qu’ils savent que sans histoires, les gens pourraient bien perdre la force de vivre.

les livres, c’est comme le ciment ou les briques : certes, cela peut servir à caler un meuble chancelant, mais aussi à bâtir des cathédrales

En Suisse, certes, les artistes, et certains de celles et ceux qui promeuvent la culture ont obtenu des aides. Mais pas les maisons d’édition. Les supermarchés ont pu rouvrir, mais les librairies, non. 

À toute chose, malheur est bon, et il y a eu un moment de grâce : tous les acteurs de la chaîne du livre, qui en temps normal peuvent cultiver quelques vues divergentes, se sont mis ensemble pour tenter d’inverser le destin dicté par la politique de notre pays aux mille clochers et à la diversité culturelle et linguistique tant vantée et si inégalement soutenue. Les libraires ont enfourché leurs vélos pour livrer des romans à domicile. Les éditrices et éditeurs ont interpellé les pouvoirs publics, lancé des appels, élaboré des stratégies de relance (cf. l’action LIBER ). Les autrices et auteurs ont raconté des histoires, parfois nos histoires à nous, les gens d’ici. Sans oublier les lectrices et lecteurs qui ont elles aussi donné de la voix, signé des pétitions, clamé leur désir de lire. Et les associations culturelles – dont l’association des autrices et auteurs, traductrices et traducteurs de Suisse, l’A*dS  – ont jeté les bases d’un nouveau dialogue. 

Tous ces acteurs de la chaîne du livre se sont unis pour dire que la littérature, les livres, c’est comme le ciment ou les briques : certes, cela peut servir à caler un meuble chancelant, mais aussi à bâtir des cathédrales, réchauffer les lits glacés en hiver, réconforter les ego déconfits, ouvrir des fenêtres dans les murs aveugles et s’essayer à la cuisine moléculaire.

Conclusion, si vous avez de la peine à respirer derrière vos masques, si le pêne de vos portes est dur au déverrouillage à cause de la peur du virus, si les bises de vos ami·e·s et les câlins de vos amours vous manquent, lisez donc des livres suisses ! Comme les briques en hiver, ils réchauffent les pieds froids et les cœurs engourdis.