Plateforme 10: entretien avec Bernard Fibicher, directeur du MCBA
«Un musée qui cherche le contact avec la ville en diffusant de la chaleur comme un radiateur à l’ancienne»: quand il parle du nouveau Musée cantonal des beaux-arts, à Lausanne, Bernard Fibicher, le directeur des lieux, a les yeux qui s’illuminent.
Plus grand, plus beau et offrant de nouvelles perspectives muséales, le Musée cantonal des beaux arts a ouvert ses portes en octobre dans le nouveau quartier des arts Plateforme 10, à Lausanne.
Un premier week-end avec 20 000 visiteurs, comment expliquez-vous un tel succès?
C’est magnifique de voir des groupes de jeunes de 15 à 17 ans s’intéresser au musée. Peut-être se sentent-ils plus à l’aise ici que dans ce vénérable Palais de Rumine, qui était le musée de leurs parents et de leurs grands-parents. Nous misons beaucoup sur la médiation culturelle. À cet effet, nous avons doublé le nombre de médiatrices et en aurons une cinquième dès le printemps prochain. Au bénéfice de programmes très précis en collaboration avec la HEP (ndlr: Haute École pédagogique du canton de Vaud), nous avons les ressources en personnel pour accueillir les écoles. Le jeune public, c’est le public du futur. Mais il ne faut pas oublier les personnes au-delà de 65 ans, bientôt les plus nombreuses en Suisse, qui représentent aussi notre public du futur. Enfin, nous avons la capacité d’accueillir les personnes à mobilité réduite, qui peuvent désormais circuler très facilement et librement dans les étages. Au Palais de Rumine, c’était le parcours du combattant; ici c’est une voie royale!
Quelle place accordez-vous aux jeunes artistes et à la scène locale?
En tant que Musée cantonal des beaux arts, nous nous devons de défendre les artistes issus du canton de Vaud, même si certain·e·s habitent aujourd’hui à Berlin ou ont une galerie à New York. La salle Projets est dédiée à l’art contemporain et nous y privilégions les mélanges : une artiste russe, un artiste argentin et Anne Rochat, une artiste vaudoise. Cette volonté de mixité nous permet d’éviter un espace « réservé aux locaux », comme s’il s’agissait d’une catégorie à part ou inférieure. Par ailleurs, nous avons commandité la première œuvre pour le restaurant à la jeune artiste vaudoise Maya Rochat, qui connaît une carrière d’envergure internationale.
Gilbert & George, Pierre Keller, Jean Crotti… L’exposition inaugurale Atlas. Cartographie du don fait un clin d’œil à la représentation de l’homosexualité dans l’art. Souhaitez-vous donner une visibilité aux minorités?
"Le musée a une fonction de forum d’échange"
Bernard Fibicher, directeur du Musée cantonal des beaux-arts
Je m’intéresse avant tout aux œuvres, je ne regarde pas qu’elles soient d’art ancien, d’art contemporain, d’un·e artiste chinois·e, vaudois·e ou zurichois·e, de telle ou telle tendance, transgenre, homosexuel le, homme ou femme. On m’a fait la remarque que les femmes sont beaucoup représentées dans l’exposition, tant mieux ! Mais ce n’est pas le fruit d’un effort de quotas.
C’est encore mieux si cela se fait naturellement! Nous vivons une époque où les citoyen·ne·s observent cela de près.
Nous avons la chance d’avoir une scène vaudoise avec des artistes féminines prolifiques. En plus de Maya Rochat, Claudia Comte, qui avait réalisé une magnifique fresque murale de 150 mètres au Palais de Rumine, est également présente dans Atlas. Alice Bailly apparaît au moins cinq fois dans l’exposition, parce que l’œuvre le mérite, en totale harmonie avec les différents chapitres, tels que la musique, la fête, le portrait. Nous avons également deux œuvres très intéressantes de l’artiste afro-américaine Renée Green, qui se prêtent à être présentées dans ce contexte.
Venons-en à l’architecture, que raconte-t-elle du lieu et de l’époque?
Des éléments du passé ferroviaire sont intégrés dans le bâtiment et la place publique. Pour moi, cependant, l’image qui s’impose est celle d’un radiateur à l’ancienne, avec ses lames qui diffusent de la chaleur et cherche le contact avec la cité. Un des gros atouts de l’architecture, ce sont les espaces de circulation, suffisamment grands sans devenir pompeux, et permettant une belle fluidité, même en période de grande affluence.
Grandiose, mais sobre?
La Suisse n’autorise pas les trop grands gestes architecturaux, et je pense que c’est une bonne chose, contrairement à l’architecture tarte à la crème que l’on voit dans d’autres pays parfois, avec des musées extrêmement coûteux et un entretien des bâtiments quasiment impossible. Nous voulions un musée beau, élégant et fonctionnel. Je crois qu’on a vraiment trouvé le bon projet avec le bureau Barozzi Veiga, de Barcelone, qui répond à tous ces critères.
De quelle manière considérez vous les enjeux muséaux face aux enjeux environnementaux?
Doit-on prendre l’avion pour parler pendant dix minutes dans un congrès à Sydney, aux États-Unis ou au Japon? Aujourd’hui, on se doit d’y prêter attention, je me pose la question quotidiennement et décline beaucoup de ces sollicitations. Lorsque nous organisons une exposition, est-ce que cela vaut la peine de faire venir des tonnes de matériel depuis les États-Unis ou l’Amérique du Sud pour installer une exposition, ou est-il préférable de donner à l’artiste la charge d’adapter son œuvre aux matériaux qu’on trouve sur place ? Le bâtiment lui-même répond à ces critères : côté sud, le musée a presque 1000 mètres linéaires de panneaux photovoltaïques (énergie solaire), couvrant près de 15% des besoins en énergie. C’est une situation idéale avec un potentiel fabuleux. Au restaurant, notre offre s’articule autour du régional, du fair trade, du bio. Nous servons l’eau filtrée de Lausanne et les jus de fruits et de légumes que nous proposons sont produits sur place. En conséquence, nous n’avons que peu de déchets.
Dans quelle(s) mesure(s) la perception des musées évolue-t-elle dans la société?
Le rôle du musée a fondamentalement changé depuis les années 1960. Jusque là, on parlait de ce que les Allemands appellent le « Bildungsbürgertum », la bourgeoisie éduquée. Ce public existe toujours, mais un musée se doit d’être beaucoup plus que cela aujourd’hui: il doit être un outil d’apprentissage, celui de la perception visuelle et sensitive qui touche tout le corps. Nous vivons à une époque où les images défilent à toute vitesse sur nos écrans. Celles que nous montrons au musée existent depuis trois cents ans et méritent d’être regardées plus d’une seconde pour être comprises. Nous avons également une fonction de forum d’échange: le public doit être capable de formuler son ressenti pour le partager avec d’autres. Nous mettons des outils à disposition, comme des applications réalisées en collaboration avec la RTS et qui remplacent les audioguides, ça fonctionne très bien.
Vous encouragez l’accès au plus grand nombre?
Oui, c’est très important, surtout en tant que musée public. Notre collection est constituée de nombreuses donations. Quant aux œuvres achetées, elles le sont avec un fonds cantonal provenant d’un pourcentage des impôts. Nous restituons à celles et ceux qui ont payé en accordant à toutes et tous la gratuité pour la visite des collections, cela me semble évident. Le Conseil d’État soutient complètement cette démarche.
Atlas. Cartographie du don
Jusqu’au 12 janvier 2020
À fleur de peau. Vienne 1900, de Klimt à Schiele et Kokoschka
Du 14 février au 24 mai 2020