L’Europe face aux géants du web

Numéro 64 – Décembre 2019

Une nouvelle directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique adoptée ce printemps pourrait profiter aux créateurs de contenus.

Il aura fallu deux ans de débats pour que le Parlement européen adopte la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Au final, plusieurs articles ont été rédigés. Ils devront être transposés dans le droit national de chaque pays membre avant le 7 juin 2021.

L’article 15 est l’un des plus importants. Il vise à octroyer aux éditeurs de publications de presse un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’utilisation en ligne de leurs publications par les plateformes web. Google, par exemple, devrait ainsi rémunérer les médias pour pouvoir continuer d’utiliser les images ou les chapeaux de leurs articles de presse, comme c’est le cas actuellement dans son service Google News.

Si la directive semble être un levier efficace pour que les éditeurs de publications de presse puissent toucher des revenus sur l’internet, la transposition concrète de cette directive montre d’ores et déjà ses limites. La France a en effet pris les devants et transposé ce droit voisin au droit d’auteur dans une loi effective depuis le 24 octobre dernier. Or Google n’a pas tardé à réagir en décidant de ne plus afficher d’extraits d’articles ou de photos miniatures pour le service Google News français. Plutôt que de payer une redevance aux éditeurs de presse, l’entreprise a préféré trouver une parade, agaçant ainsi les responsables politiques et les éditeurs de presse.

Nouvelles responsabilités des plateformes

L’article 17 fut également au cœur d’un débat très nourri. Jusqu’alors, les plateformes de diffusion de contenus comme YouTube ou Dailymotion n’avaient qu’une responsabilité limitée concernant les contenus mis en ligne par leurs utilisateurs. Elles ne pouvaient être tenues responsables de violation de droits d’auteur que si leur réaction, en l’occurrence la suppression d’un contenu illicite, ne se faisait pas assez promptement à la suite d’une dénonciation par un ayant droit.

La directive européenne corrige cela en imposant aux plateformes d’obtenir une autorisation des titulaires de droits pour mettre à disposition leur œuvre. Véronique Desbrosses, directrice du Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs, se montre donc très satisfaite. «La bataille face à ces puissants adversaires fut homérique, relate-t-elle. Mais aujourd’hui, grâce à cette avancée majeure, les jeunes et les générations futures qui utilisent ces plateformes pour diffuser du contenu vont pouvoir profiter d’un nouvel écosystème, et les jeunes créateurs seront rémunérés.»

Une rémunération appropriée et proportionnelle

Et cela ne s’arrête pas là. Avec l’article 18, les États-membres devront aussi veiller à ce que les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants bénéficient d’un droit à percevoir «une rémunération appropriée et proportionnelle» de la part d’une plateforme qui diffuse leurs œuvres. Cela pourrait donc grandement bénéficier aux auteurs, qui ne touchent que très rarement des royalties lorsque leur production rencontre du succès.

L’article 19 vient compléter cela avec un devoir de transparence valable pour tout preneur de licence. Les auteur·e·s pourront exiger de recevoir régulièrement, et au minimum une fois par an, des «informations actualisées, pertinentes et complètes sur l’exploitation de leurs œuvres» et les recettes générées. «Netflix, par exemple, n’est pas du tout transparent sur les audiences, explique Cécile Despringre, directrice de la Société des auteurs audiovisuels qui représente les intérêts des sociétés de gestion collective et de leurs auteur·e·s audiovisuel·le·s membres au niveau européen. À l’heure actuelle, les producteurs ne se battent pas vraiment pour connaître ces chiffres. Ils se satisfont de vendre du contenu à cette plateforme. Avec l’article 19, ils devront demander ces informations, pour ensuite les transmettre aux auteur·e·s.»

Reste que cette directive, une fois transposée, ne bénéficiera aux auteur·e·s que si ces derniers se mettent ensemble pour faire valoir leurs droits. Avec l’adoption de cette directive européenne, ils auront toutefois une base légale qui les soutient. Les artistes et autres créateurs de contenus présents en Suisse et dans les autres régions du monde pourraient eux aussi profiter au final de ce nouveau cadre, dans un marché du numérique qui en manquait jusqu’ici cruellement.

Cet article a été écrit dans le cadre d'une collaboration avec le journal de la SSA Société Suisse des Auteurs.