La culture domaine de souveraineté cantonale et d’activités illimitées

Numéro 45 – Mars 2015

En Suisse, la culture est du ressort des cantons. Sauf que par essence elle ne connaît pas vraiment les frontières. En mai dernier, le Conseil fédéral mettait en consultation son projet de Message concernant l’encouragement de la culture pour la période 2016 à 2019. Le niveau de réflexion, la qualité de la teneur et l’ambition de ce document dépassent largement les projets analogues présentés dans le passé. Toutes qualités que la majorité des cantons, des partis et des organisations qui ont pris position ont bien voulu reconnaître, sans forcément donner leur plein accord sur le fond. Les très prochaines semaines diront si l’exécutif maintient son projet et s’il se prépare à entraîner l’adhésion des parlementaires sur la vision d’ensemble, sinon sur tous les points controversés.

L’enjeu principal est facile à situer. C’est la « politique culturelle nationale » dont le Conseil fédéral aura eu la folle audace de parler ouvertement dans son projet. Comme prévu, l’idée n’a pas convaincu. Les cantons en particulier font de la résistance, forts de la Constitution fédérale qui leur attribue expressément une compétence générale et prioritaire en matière de culture. La Confédération, en menant une politique nationale, outrepasserait le modeste rôle d’utilité que lui laisse le principe de subsidiarité.

Non à une politique nationale

Dans leur prise de position sur le Message culture, nombre de cantons réaffirment leur souveraineté en la matière, tout comme pour l’instruction publique ou le choix de leurs langues officielles. D’Argovie à Zurich, les gouvernements se montrent intraitables. Le Conseil d’État vaudois va jusqu’à exiger l’abandon du concept même de politique culturelle nationale, dont Bâle-Campagne et quelques autres doutent fortement qu’il soit approprié et applicable dans une Suisse fédéraliste et pluriculturelle.

Le seul écho ouvertement favorable vient de Neuchâtel, où la fameuse politique est vue comme une « nouvelle étape encourageante du Dialogue culturel national » récemment instauré. Pour sa part, Berne fait une distinction intéressante, réservant ce « Dialogue » aux affaires intérieures et acceptant une politique nationale pour les relations extérieures. Argovie adopte aussi une position nuancée et digne d’attention : tout en jugeant équivoque le terme de politique culturelle nationale qui ressemble fort à une abominable « Staatskulturpolitik », le Mittelkanton demande à la Confédération d’assumer la fonction de leader pour faire face, à l’échelle du pays, aux défis représentés par de profondes évolutions socioéconomiques qui, telles l’urbanisation et la numérisation, influent sur le domaine culturel.

La Confédération, en menant une politique culturelle nationale, outrepasserait le modeste rôle d’utilité que lui laisse le principe de subsidiarité.

Prudemment, Fribourg, canton du conseiller fédéral Berset, et le parti démocrate-chrétien, auquel appartient Isabelle Chassot, directrice de l’Office fédéral de la culture, s’abstiennent de toute appréciation sur la perspective d’une politique culturelle menée à l’échelle nationale.

Du côté des partis suisses, cette idée recueille sans surprise l’assentiment des socialistes et l’opposition farouche de la droite. Les libéraux-radicaux y voient une tendance inacceptable à la centralisation et à la bureaucratisation tandis que l’UDC dénonce « une sape insidieuse du fédéralisme » et une attaque frontale à l’esprit suisse dont ladite Union se sent l’exclusive dépositaire. De manière générale, ces deux partis signent des prises de position entièrement négatives, d’une netteté et même d’une violence tout à fait exceptionnelles chez les participants à des procédures de consultation fédérales. Toute exagération affaiblissant l’argument, le Conseil fédéral pourrait se glisser entre l’opposition du tandem PLR-UDC et la bienveillance du PSS et des Verts, qui approuvent les grandes options et souhaitent diverses améliorations particulières.

Oui à un encouragement fédéral

Questions de principe mises à part, le Message culture reste un programme de financement quadriennal – dont la durée sera d’ailleurs prolongée d’un an jusqu’à fin 2020, en vue d’harmoniser la culture avec la formation supérieure, la recherche et l’innovation notamment.

Les moyens prévus pour l’encouragement de la culture pour la période 2016-2019 sont en forte progression par rapport au plafond accordé en septembre 2011 pour la période 2012-2015 et relevé en cours de période. Le budget culturel de la Confédération devrait passer de 782,6 à 894,6 millions de francs, soit une augmentation de 14%. Ce budget dépasse de 53,7 millions, soit de 6.4%, les montants figurant dans la planification financière de la Confédération établie pour la période correspondante.

Les cantons se prononcent tous en faveur des quelque 900 millions prévus. La plupart d’entre eux critiquent la dotation, traditionnellement insuffisante, du secteur « patrimoine culturel et monuments historiques » auquel s’ajoute désormais opportunément la culture du bâti. Les débats aux Chambres feront certainement écho à cette critique récurrente et permettront peut-être une rallonge amplement méritée.

Les discussions porteront aussi sans doute sur l’encouragement de la musique, en particulier sur les conséquences de la nouvelle aide aux jeunes musiciens et sur la « dérive sociale » que suspecte notamment le canton de Vaud, s’agissant de l’encouragement de l’accès à la culture. On s’inquiète au Château cantonal de voir la politique culturelle utilisée à des fins sociales ou, à peine moins grave, limitée à son apport économique ou touristique. Par ailleurs, Vaud s’inquiète d’une nouvelle forme d’économicisation rampante de la culture, sous couvert d’encouragement à l’innovation, via le soutien privilégié aux start-ups des arts appliqués contemporains alors que les Hautes écoles d’art sont déjà bien davantage que des lieux de formation.

Vaud s’inquiète d’une nouvelle forme d’économicisation rampante de la culture, sous couvert d’encouragement à l’innovation.

À l’exception du PLR, qui voudrait en rester au montant de la période en cours, tous les partis se déclarent d’accord avec l’augmentation prévue. Les Verts trouvent largement insuffisants les montants réservés aux droits des artistes ainsi qu’au soutien aux gens du voyage et à la minorité yéniche. Dans l’ensemble, et compte tenu des efforts effectués par les collectivités locales, y compris dans les régions rurales, comme le relèvent à juste titre les gouvernements d’Argovie et de Bâle-Campagne, le financement public de la culture devrait se répartir à l’avenir aussi selon le schéma que l’on connaît depuis nombre d’années et rappelé par l’Union des villes suisses : 40% à la charge des cantons et 40% à celle des centres urbains tandis que les autres communes et la Confédération se partagent à égalité la charge des 20% restants.

Tout est donc stabilisé au paradis de la péréquation verticale et du fédéralisme horizontal.

Article paru sur www.domainepublic.ch