Plurilinguisme : un défi à relever
La question du plurilinguisme dépasse largement nos frontières nationales. Derrière les revendications territoriales, au-delà des enjeux économiques régionaux que connaît le Vieux Continent, nous assistons aujourd’hui à un important mouvement identitaire. Au cœur de cette dynamique, la défense des langues, des dialectes et d’autres idiomes peut se transformer en un puissant moyen de contestation. Ces dernières décennies, le plurilinguisme et la diversité culturelle sont en effet devenus des sujets de discussion prioritaires.
Nos sociétés se nourrissent de paradoxes. Elles se globalisent tout en rejetant l’uniformité. Elles se rapprochent tout en favorisant une forme de « nostalgie identitaire ». Ce mouvement est sain. Sur des questions aussi importantes que nos identités culturelles, le pire serait l’indifférence face à l’hégémonie anglo-saxonne. Le plus inquiétant serait de constater que notre héritage culturel n’a qu’un poids très faible face à la langue de Shakespeare.
En outre, la mobilité croissante des individus exige que nous développions des stratégies globales, des approches qui intègrent les évolutions internationales, inter-cantonales, intersectorielles et interdisciplinaires.
C’est dans ce contexte que la politique suisse du plurilinguisme se développe.
En mars dernier, le Conseil fédéral approuvait le rapport d’évaluation Promotion du plurilinguisme (www.plurilingua.admin.ch) ainsi que les recommandations formulées pour orienter et soutenir les actions de l’administration fédérale.
Les démarches entreprises jusqu’à ce jour, résumées dans le deuxième chapitre dudit rapport, témoignent de la volonté du Conseil fédéral d’assumer les responsabilités qui lui incombent en matière de promotion des langues nationales et de cohésion nationale.
« Les disparités entre régions linguistiques dans l’attribution des marchés publics et des commandes de la Confédération et des régies fédérales sont avérées. » (Nicoletta Mariolini)
La politique suisse du plurilinguisme s’appuie sur plusieurs piliers : les interventions parlementaires, les mesures des départements et de la Chancellerie fédérale, la modification de l’Ordonnance sur les langues, la révision totale des instructions, l’Ordonnance sur les services linguistiques, le message culture 2016-2020, ainsi que le domaine des marchés publics.
Ces champs d’actions sont étroitement liés entre eux et, ayant un impact direct ou indirect sur la politique du plurilinguisme dans son ensemble, sont aussi indissociables de cette dernière. La cohérence et la pertinence des actions menées par tous les organismes engagés dans la promotion du plurilinguisme constituent le cœur et le moteur d’une action efficace. C’est pourquoi une approche globale, voire systémique, représente un axe de travail important.
Comment peut-on en effet imaginer une administration plurilingue sans la maîtrise des langues nationales que seule l’école peut nous offrir ?
Le Conseil fédéral propose donc une nouvelle lecture des faits : le système est considéré de manière globale, avec les différents acteurs et actions qui contribuent à l’évolution du plurilinguisme au sein de l’administration fédérale et dans son rayonnement vers l’extérieur.
Une telle perspective permet de donner une vision d’ensemble des activités dans le domaine du plurilinguisme.
Le Conseil fédéral considère en effet que le plurilinguisme est le ciment qui unit tous les éléments de la mosaïque politique et culturelle composant notre pays ; il reconnaît également le plurilinguisme comme un facteur économique-clé, qui facilite nos relations commerciales et culturelles, ouvre des perspectives professionnelles et augmente les chances sur le marché du travail.
Chacun dans son propre domaine doit donc contribuer à sensibiliser la population à l’importance des langues nationales, car le développement du plurilinguisme au sein de l’administration fédérale est aussi un reflet des mesures qui sont prises dans l’ensemble du Pays pour le promouvoir, et ce dans tous les secteurs d’activité et à tous les niveaux institutionnels.
L’administration fédérale doit être un microcosme de la Suisse ainsi qu’une médiatrice entre les différents cercles intéressés. Ainsi, elle contribue à soutenir l’histoire de notre « Willensnation ».
Le plurilinguisme institutionnel signifie démocratie, égalité des chances pour les minorités et égalité de traitement entre les régions linguistiques.
Dans ce sens, l’administration fédérale doit donc donner l’exemple en veillant à assurer une représentation équilibrée des communautés linguistiques et en accordant une grande importance aux compétences linguistiques de son personnel, et cela dès le recrutement et par ses effets, directs ou indirects, sur le marché du travail.
La Confédération a pris des engagements à cet égard, en misant sur un fort plurilinguisme institutionnel et individuel, notamment dans les domaines de la politique du personnel, du renforcement des services linguistiques, de la politique des acquisitions (marchés publics), ainsi que dans le cadre du message culture.
Un exemple parmi d’autres[1] : les disparités entre régions linguistiques dans l’attribution des marchés publics et des commandes de la Confédération et des régies fédérales sont avérées. Les cantons romands et la Suisse italienne se trouvent confrontés à de nombreux obstacles pour l’obtention de marchés publics. Comparativement et proportionnellement au pourcentage de leur PIB cantonal par rapport au PIB national, les régions minoritaires sur le plan linguistique se situent très en deçà du volume de commandes publiques fédérales attribuées en Suisse alémanique.
Conscient de ces disparités, le Conseil fédéral a ordonné, lors de sa séance du 30 avril 2014, la mise en œuvre des mesures nécessaires.
En charge de ces questions, la Conférence des achats de la Confédération et l’Office fédéral des constructions et de la logistique (OFCL) ont adopté, le 26 novembre 2014, de nouvelles recommandations. La brochure Promotion du plurilinguisme dans le domaine des marchés publics, publiée à cette occasion, et les mesures envisagées ont des implications importantes par rapport aux ressources, au recrutement de personnel, notamment en matière de compétences linguistiques nécessaires au sein des services d’achats de toute la Confédération, et des retombées plus larges et positives pour une application conséquente non seulement de la Loi fédérale sur les marchés publics, mais aussi de la Loi sur les langues.
Ce débat met en relief les risques économiques liés à un plurilinguisme défaillant dans l’administration fédérale et tend à démontrer que le plurilinguisme a aussi du sens sur le plan économique.
Cette approche, globale et systémique, est sous-jacente aux contenus du rapport Promotion du plurilinguisme qui désormais représente le cadre de référence pour répondre aux nouvelles exigences légales, entrées en vigueur le 1er octobre 2014. Cependant, le plurilinguisme ne se décrète pas, il se vit.
Dans ce nouveau contexte, plus ambitieux et contraignant, les départements, la Chancellerie fédérale et les unités administratives de l’administration fédérale sont appelés à poursuivre et à cibler leurs efforts pour améliorer le plurilinguisme du personnel de la Confédération et pour assurer une représentation équilibrée des communautés linguistiques, cela aussi dans les classes de salaire et les fonctions supérieures.
En effet, si les données relatives à la langue maternelle des collaborateurs montrent que les objectifs de représentation des communautés linguistiques (respect des valeurs cible, art. 7 de l’Ordonnance sur les langues) sont globalement atteints dans l’administration fédérale, les données, publiées pour la première fois dans le rapport du 13 mars dernier, permettent de constater qu’au sein des classes salariales élevées, les communautés linguistiques ne sont pas représentées de manière équilibrée. En 2014, au sein de l’administration fédérale dans son ensemble, la communauté francophone se situait légèrement au-dessus du seuil minimum (21,9%), alors que les germanophones étaient surreprésentés (72,5%) au détriment des italophones qui eux étaient sous-représentés (4,8%).
Ces valeurs diffèrent sensiblement si elles sont ramenées aux réalités propres à la Chancellerie fédérale et à chaque département.
Les départements qui comptent la proportion la plus importante de germanophones au sein des classes salariales élevées sont le DFJP (92,9%), le DETEC (80%), le DDPS (78,9%), le DFI (77,8%) et le DFF (74,2%).
En guise de synthèse, le plurilinguisme institutionnel signifie démocratie, égalité des chances pour les minorités et égalité de traitement entre les régions linguistiques ; il signifie aussi favoriser une redistribution équitable des ressources et garantir l’accès aux prestations et aux incitations économiques.
Pour toutes ces raisons, notre regard doit être ouvert à 360°, à savoir il est grand temps de retirer les œillères. Le défi est donc lancé…