Édito n°15, septembre 2007 – La Décharge ou l’Art de bien apprêter la subsidiarité

Numéro 15 – Septembre 2007

S’il fallait résumer en une phrase la première loi sur la culture suisse (LEC), ce serait celle-ci : au lieu de dire ce que la Confédération doit faire pour encourager la culture, on lui donne la permission éventuellement de le faire… À l’heure où la diversité culturelle est gravement menacée et fait l’objet de débats à l’échelle mondiale, la Suisse va devoir se demander si la culture suisse vaut un verre vide plutôt que pas de verre du tout !

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Illustration © 2007, Bruno Racalbuto

« Et alors ? » disent les ultralibéraux qui, des Blocheriks-Merzistes aux Couchepiniens font la pluie et le beau temps fédéraux, « on vous concède déjà un verre, vous ne prétendez tout de même pas qu’on va vous le remplir avec l’argent des contribuables ? »

L’histoire du verre plein à moitié vide, vieille rengaine de la politique fédérale, est donc en passe d’être éclipsée par l’histoire beaucoup plus crue du verre vide – faut-il le garder parce qu’il pourrait servir éventuellement, ou le briser spectaculairement pour corser la scène de ménage par laquelle ce projet mérite d’être accueilli ?

Dès son arrivée au Département de l’intérieur, Couchepin a brandi le concept de subsidiarité, surprenant tout le monde par la virulence de sa traque contre la culture d’État. Deux concepts propres à jeter l’effroi dans les foyers, jusque dans les plus hautes vallées… même si on peine à en dessiner les poils et à en dénicher les empreintes !

Culture d’État ?

Mais derrière cette grossière agitation d’épouvantails, l’intention réelle des ultralibéraux est d’aider la culture le moins possible au niveau fédéral. Pourquoi ? Parce qu’aux niveaux communal et cantonal, elle se laisse beaucoup mieux apprivoiser. La création relativement libre, relativement protégée par l’État contre les pires radiations des marchés mondiaux – voici ce qu’on désigne comme « culture d’État » !

Avec le verre de la LEC, on pourrait d’ailleurs en profiter pour jeter à la décharge la subsidiarité, concept bien trop vague, autorisant toutes les ambivalences, malheureusement bétonné dans la Constitution. La subsidiarité est un faux ami, qui se prête merveilleusement à l’idée d’un soutien uniquement marginal, secondaire, insigni­fiant à la création culturelle… Et qui permet de se camoufler derrière le rôle prédominant des villes et des cantons pour ne pas remplir des obligations que ces villes et cantons ne peuvent pourtant pas accomplir non plus. Un exemple ? Se battre sur la scène mondiale…

La Confédération existe-t-elle?

Tout comme dans l’affaire des langues, dans le domaine de la culture, le gouvernement rejoint les plus séparatistes des cantons alémaniques. Le laisser-faire est érigé en sagesse économe. Alors qu’il conduit droit à la catastrophe : l’exemple belge le montre pour la question des langues, comme aussi l’exemple du laminage par les blockbusters dévastateurs du cinéma, du livre et de la musique sur les marchés et sur Internet.

Avec le projet de LEC, la culture suisse ne disposera d’aucun outil pour défendre sa diversité culturelle. Une tâche qui figure pourtant sur une autre page du site de l’OFC, celle du soutien (non encore ratifié) de la Suisse à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Unesco. Mais pas la moindre pierre d’achoppement dans le projet de loi, qui se contente d’affirmer dans ses buts son soutien à la diversité, en faisant croire que c’est par les articles 18 et 19 sur le « soutien des échanges culturels » et la « collaboration internationale » que ces buts vont se traduire dans les faits[1].

Il manque, gros comme une porte de grange, le petit « c » fatidique, qui dirait « la prise de mesures d’encouragement à la culture permettant de garantir la diversité culturelle sur les marchés et les canaux de diffusion de la culture ».


[#1] Art. 18 : Soutien des échanges culturels

  1. La Confédération peut soutenir les échanges culturels à l’intérieur du pays.
  2. Elle peut présenter les cultures suisses à l’étranger et soutenir les échanges avec d’autres cultures.
  3. Elle peut gérer ses propres établissements culturels dans les importants centres culturels du monde et dans les pays avec lesquels la Suisse entretient des échanges particuliers.


Art. 19 : Collaboration internationale
Le Conseil fédéral peut, afin de promouvoir les relations internationales, conclure des accords internationaux ou de droit privé sur :
a) la collaboration culturelle ;
b) la participation financière à des mesures d’encouragement de la culture prises sur le plan international.

Art. 26 : Autorité compétente et coordination de la politique culturelle à l’étranger

  1. L’OFC met en œuvre la politique culturelle de la Confédération.
  2. Le DFI et le DFAE coordonnent leurs activités dans le cadre de la politique culturelle menée à l’étranger.